Soumises à la pression de l’âge et de l’infertilité, certaines Françaises se rendent à l’étranger pour congeler leurs ovocytes. Cette pratique qui est interdite en France est autorisée dans plusieurs pays, notamment l’Espagne.  Le docteur Lionel Homer, gynécologue au centre IVI à Madrid voit arriver de plus en plus de femmes de l’hexagone. Il a accepté de répondre à nos questions. 

En juin dernier, l’Académie de médecine recommandait au gouvernement de légaliser la conservation des ovocytes pour « convenances personnelles » afin de pallier à l’infertilité liée à l’âge. Quelles sont les raisons qui amènent les femmes à avoir recours à la conservation de leurs ovocytes ?

Globalement, la première raison qui motive ces patientes est l’absence de conjoint à un âge où elles envisageraient de faire un enfant.

Beaucoup moins fréquemment, c’est leur carrière professionnelle qui peut influencer cette décision ; dans ce cas, c’est plutôt lorsqu’elles sont investies dans des postes impliquant d’être mobile, souvent difficilement compatible avec une relation stable, voire avec un projet de grossesse. On ne peut donc pas parler de « convenance personnelle » dans ces indications.

Quel est le profil des Françaises qui se rendent en Espagne pour conserver leurs ovocytes ? 

Il s’agit principalement de femmes célibataires et actives, mais c’est d’abord leur célibat qui motive leur démarche. Certaines consultations sont motivées par la rupture d’une union au cours de laquelle le projet de grossesse n’a pas abouti ou n’a pas été partagé par les deux conjoints.

Ces patientes sont informées des possibilités techniques mais ne sont malheureusement peu renseignées sur les résultats, notamment lorsqu’elles consultent après 36 ans, voire après 40 ans.

Elles sont parfois inquiètes de l’accueil qui leur sera réservé, inquiètes également du regard qui pourrait être porté sur leur statut de célibataire et sans enfant. Cette démarche peut être vécue avec culpabilité, car c’est en fait une démarche par défaut…

Ces femmes ressentent également un sentiment d’illégalité et peuvent se considérer comme des « clandestines », sachant que cette procédure n’est pas autorisée dans leur pays. Le fait de les informer que leur démarche est tout à fait légale et que les patientes espagnoles y ont recours sans aucun tabou, les rassure rapidement.

Les Françaises et les Espagnoles ont-elles recours à cette pratique médicale pour les mêmes raisons ?

Oui absolument ! Mais les patientes espagnoles le font de manière plus décomplexée ! Elles le font également plus tôt que les patientes étrangères puisqu’elles consultent en moyenne à un âge inférieur de 1,5 ans à celui des patientes françaises.

Le cadre légal y est sans doute pour beaucoup puisqu’en Espagne la publicité pour les centres médicaux est autorisée, ce qui est également un moyen d’informer le public.

Récemment, le centre Ivi de Madrid dans lequel je travaille, a organisé et médiatisé une campagne d’évaluation de la « fertilité », en proposant aux femmes la réalisation gratuite du dosage sanguin de l’hormone anti müllerienne (marqueur de la « réserve ovarienne » évalué par une prise de sang) ainsi qu’une consultation médicale de conseil. Cette campagne a permis notamment de dépister des femmes en situation de baisse de la fertilité et de leur conseiller de préserver leurs ovocytes si elles n’avaient pas de projet de grossesse à court ou moyen terme.

Pourquoi la France est-elle réticente à légaliser la conservation des ovocytes ?

Aujourd’hui, la loi prévoit « la préservation de la fertilité pour les femmes dont la fertilité pourrait être altérée par une maladie ou sa prise en charge, ainsi que les femmes dont la fertilité risque d’être prématurément altérée ».  Pour l’heure, l’âge qui est un facteur de risque de diminution de la fertilité, n’est pas reconnu comme tel. Or, la préservation pour « convenance personnelle » est bien un moyen de lutter contre cette baisse physiologique de la fertilité qui, en outre, n’intervient pas au même âge pour toutes les femmes.

Le premier point qui rencontre le plus de réticence est donc l’idée que la vitrification des ovocytes autoriserait les femmes à envisager la maternité sans limite d’âge, avec notamment les risques liées aux grossesses tardives. En France, l’assurance maladie prend en charge les patientes jusqu’à leur 43ème anniversaire, qu’il s’agisse de traitements de PMA avec leurs propres ovocytes ou dans le cadre d’un don d’ovocytes.

Le second point qui soulève le plus de questions est celui du financement. Lorsque la préservation intervient dans le cadre d’une pathologie – oncologique notamment-, le traitement est pris en charge par l’assurance maladie. Dans le cadre de la préservation dite sociétale, le mode de financement n’est pas encore établi. Dans les pays frontaliers à la France qui autorisent la préservation ovocytaire, le traitement est à la charge des patientes.

Peut-on s’attendre à des changements suite aux récentes recommandations de l’Académie de médecine ?

Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu son avis et n’a pas suivi l’ensemble des recommandations de l’Académie de Médecine, notamment sur la préservation de la fertilité.

Les avis de l’Académie de Médecine et du CCNE sont toutefois consultatifs, et il est donc possible que le gouvernement décide d’amener le débat devant l’Assemblée Nationale.

 

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois