Nous avons parlé contraception, libido, série TV féministe, et violences médicales avec Martin Winckler, médecin et homme de lettres. L’auteur de contes pour enfants, d’essais et de romans dont Le Chœur des femmes (2009) et  Les Brutes en blanc (2016), animateur d’une chaîne Youtube éponyme, nous a parlé de la prise en charge du corps féminin dans le monde médical aujourd’hui.

« En médecine, la sexualité des femmes ça n’intéresse pas, non ! Ce qui intéresse, c’est qu’elles pondent des mômes. C’est pour vous dire ! » LES INTELLOES publie cet entretien riche et passionnant en deux chapitres. Voici le second, une mise au point sur la contraception en France. Le premier chapitre est disponible ici.

Cassiopée : En tant que médecin, quelle est selon vous la manière la plus intelligente de servir le public féminin ?

Martin Winckler : Très souvent, les patientes viennent avec un prétexte. Pas un symptôme hein, un prétexte qui leur paraît acceptable, légitime pour voir leur médecin. C’est la manière par laquelle elles arrivent à exprimer quelque chose qui les gêne. Ça peut être : « Docteur je ne supporte plus ma pilule », par exemple. Et bien si vous commencez par : « D’accord, je vais vous en prescrire une autre », vous êtes passé à côté. Si vous dites : « Ah, racontez-moi ». Alors là…

C : Le rapport dépression-pilule a été reconnu. De nombreux articles attestent que la baisse de la libido, elle, ne ferait pas partie des effets secondaires liés à la pilule contraceptive. Que dire aux femmes qui jurent le contraire ?

MW: La pilule est contraceptive en faisant croire au cerveau de l’utilisatrice qu’elle est déjà enceinte : l’ovulation se met en sommeil. Parallèlement à cela, 30% des femmes enceintes disent qu’elles n’ont pas envie de relations sexuelles. De plus, les utilisatrices présentent les mêmes symptômes que ceux des femmes enceintes : nausées, seins tendus… Elles auraient donc des symptômes dans leur corps mais pas dans leur cerveau ?

Un effet secondaire, c’est subjectif, il faut le croire ! La baisse de libido ne se mesure pas, si une femme dit qu’elle n’a plus de libido, c’est qu’elle n’a plus de libido !

Ann-Laure : Comment expliquer le fait que les effets secondaires de la pilule ne soient pointés que ces dernières années ?  

MW : La subjectivité des effets secondaires peut laisser les médecins dubitatifs. De plus, rappelons-nous une chose : la grande angoisse des premières utilisatrices de la pilule dans les années 70 était de tomber enceinte. Ca fusillait leurs rapports sexuels ! Quand elles ont commencé à prendre la pilule, elles n’avaient plus peur et leur libido allait mieux.

Les jeunes femmes de la génération suivante qui ont commencé à prendre la pilule dès leurs premiers rapports sexuels ne faisaient pas le même constat : leur libido était moins importante avec la pilule qu’avec les préservatifs. En remplaçant la pilule par un stérilet au cuivre, tout changeait, elles avaient de nouveau envie!

Pourquoi le symptôme des seins qui font mal à cause de la pilule serait moins respectable qu’une baisse de la libido ? Il n’y a aucune raison que ce qui est vrai dans un cas ne soit pas vrai dans l’autre, ce sont les mêmes mécanismes.

C’est à mettre sur le compte d’un préjugé sexiste ou de classe qui consiste à considérer qu’une bonne femme qui te dit qu’elle n’a plus de libido, c’est dans sa tête.

A-L: Que dire à tout gynécologue qui refuserait de poser un stérilet, situation encore très répandue aujourd’hui ?

MW : Quand j’ai commencé à faire des IVG en 1983, tous les stérilets actuels existaient déjà, sauf le stérilet hormonal qui est apparu un peu plus tard. Mais aujourd’hui, certains médecins refusent d’en poser parce qu’ils ont peur. À eux vous pouvez dire : « Moi je n’ai pas peur, des études scientifiques et les recommandations de la Haute autorité de santé disent qu’il n’y a aucun danger. Si vous avez peur que ce soit dangereux pour moi je vous rassure tout de suite, je sais que ça ne l’est pas. C’est mon corps, je prends le risque. »

C’est tellement insensé de martyriser les gens, les femmes en particulier, en leur refusant des choses qu’elles peuvent avoir simplement grâce à nous.

C : D’où vient cette trouille des médecins ?

MW : Quand je posais des stérilets à des mineures qui n’avaient pas d’enfant, mes confrères me disaient : « Mais tu vas te retrouver avec un procès !». Je leur répondais « Attends, comment tu veux te retrouver avec un procès de la part de femmes à qui tu rends service ? C’est quand tu les emmerdes qu’elles te font un procès ! »

A-L : Et que dire aux médecins qui refusent catégoriquement ?

MW : Si vous êtes face à un obtus où à une obtuse, il ne faut pas discuter. Il n’y aura pas moyen de le convaincre.

 C : Une formule pour leur exprimer notre indignation ?

MW : Il faut lui dire: « Vous ne faites pas votre boulot ! Il n’y a pas de raison objective de me refuser un stérilet, c’est MA contraception, c’est MA vie, c’est MON choix. Si vous ne voulez pas me le poser j’irai voir quelqu’un d’autre et je vais dire à tout le monde que vous faites obstruction au libre choix des femmes. Et puis il faut se lever et sortir sans payer hein !»

Le refus de poser un stérilet sous prétexte que vous n’avez pas de partenaire stable ou pas encore d’enfant, c’est encore une fois un préjugé de classe. 

A-L : Que pensez-vous de la prise en charge de l’endométriose en France ?

MW : Cette maladie tarde à être reconnue, cela est dû à l’insuffisance de formation et au manque de souci des patientes.

Les règles sont un phénomène physiologique mais la douleur, elle, ne l’est pas. Si c’est douloureux, c’est qu’il se passe quelque chose qui ne devrait pas se passer. Preuve en est qu’il y a des femmes qui n’ont pas mal, ou très peu. Le manque de reconnaissance de cette maladie est lié au dogme qui affirme que c’est normal de souffrir, c’est très catholique (donc bien de chez nous, ndlr). Dans les pays anglo-saxons, la manière de penser est complètement différente.

 C : Que pouvez-vous dire sur « l’examen à l’anglaise », sujet omniprésent dans Le chœur des femmes ?

MW : On devrait toujours le proposer aux femmes qui n’ont pas envie d’écarter les jambes. Ou même à celles qui ne le peuvent pas ! J’ai commencé à faire un examen à l’anglaise sur une femme handicapée.

C : Il est vrai que je pensais au confort de la patiente, mais pas à ce cas de figure…

MW : Cette femme est arrivée et m’a dit : « C’est embêtant, je n’ai pas fait de frottis depuis 5 ans. A chaque fois que j’en demande un, le gynécologue ne veut pas me le faire parce que je suis handicapée et que c’est compliqué de m’allonger ». Je lui ai répondu : « On peut vous allonger sur le côté. »

Les femmes handicapées, de couleur, ou obèses, ça n’existe pas dans les livres de médecine !

C : Pourquoi l’examen à l’anglaise est-il si peu pratiqué en France ?

MW : Il y a une raison très simple, c’est que les tables ne sont pas faites pour ça. Quand vous regardez n’importe quel film ou série américaine comme Friends par exemple, elles sont larges, et les femmes ne sont pas allongées mais demi-assises. Le médecin peut garder un contact visuel avec la patiente. Cette dernière n’est pas entièrement nue et elle a un drap qui lui couvre le haut du corps.

C : Il y a quelque chose de très gênant dans la passivité de la position « classique ». On ne peut que regarder en l’air, la tête du médecin entre les jambes en attendant que ça se passe…

MW : Les médecins sont en train de changer de comportement. L’important est d’avoir le souci du patient. La dernière fois, j’ai demandé à des garçons étudiants en médecine : « Vous êtes-vous déjà allongés sur une table de gynécologie ? ». Ils m’ont répondu que non! « Ben, il faut que vous le fassiez, parce que vous n’allez plus examiner les femmes de la même manière après. »

C: Vous aviez d’ailleurs une idée concernant l’enseignement de la physiologie aux futurs médecins…

MW : Si on enseignait aux médecins la physiologie des femmes, on aurait beaucoup plus d’informations sur ce que c’est que de traverser les phases de la vie. Parce qu’un homme, bon, il y a d’abord la puberté et puis après tout va bien jusqu’à la mort. Alors que pour les femmes on a la puberté, ensuite les rapports sexuels, ensuite la grossesse, puis l’allaitement, ensuite une deuxième grossesse, puis une IVG, la ménopause…

A-L: Partir du plus compliqué pour faire le plus simple…

MW : Oui tout à fait ! Mais dans la médecine, on étudie les femmes par le biais de la gynécologie obstétrique, c’est-à-dire la sexualité et la reproduction. Surtout la reproduction, car la sexualité des femmes ça n’intéresse pas, non, ce qui nous intéresse c’est qu’elles pondent des mômes. C’est pour vous dire !

A-L: Est-ce que certaines femmes ont influencé votre parcours?

MW : Oh oui ! Des patientes, notamment la première qui m’a fait confiance et à qui j’ai posé un stérilet (alors qu’elle n’avait jamais eu d’enfant). Elle a résisté au terrorisme des médecins qui lui demandaient « Vous voulez vraiment un bâton de dynamite dans l’utérus ? ». Comme c’était la première à me faire confiance, cela m’a parallèlement donné confiance en moi. J’ai ensuite pu proposer le stérilet à d’autres femmes.

Yvonne Lagneau qui était la surveillante du service des IVG où j’ai travaillé pendant 20 ans m’a aussi beaucoup influencé. Cette femme, qui venait d’un milieu modeste, était d’une humanité et d’une intelligence relationnelle… Quelle femme remarquable. Elle fut mon mentor, mon totem, ma bonne fée, tout ce que vous voulez !

 C : Qu’en est-il des hommes ?

MW : Des camarades, mon entourage en fac de médecine m’ont aussi influencé! Mon père également. Je suis très sensible aux échanges. C’est pour cela que dans mes livres, il y a toujours trois pages de remerciements.

Propos recueillis par Cassiopée Giret et Ann-Laure Bourgeois 

Pour lire la première partie de l’entretien avec Martin Winckler sur la prise en charge du corps des femmes par la médecine en France, c’est ici.

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