La blogueuse Laura Nsafou alias Mrs Roots sort Un million de papillons noirs aux éditions Bilibok*, son premier album jeunesse visant à développer l’estime de soi des petites filles noires.

Les dessins sont délicats, les couleurs chaudes. La petite héroïne est noire. Cependant, l’histoire d’Un million de papillons noirs ne se déroule pas dans la savane en Afrique, mais en France, où la petite Adé apprend à s’aimer malgré les moqueries. Un livre qui se détache des clichés dans lesquels les personnages de couleur de la littérature jeunesse appartiennent souvent à un univers bien loin du nôtre.

Le livre de Laura Nsafou aka Mrs Roots, vise à développer « l’empathie et l’estime de soi » des enfants de 3 à 9 ans en abordant le rapport compliqué des femmes noires avec leurs cheveux, et ce, dès l’enfance. « Les cheveux afros naturels sont moqués et les fillettes ont du mal à les accepter, voire simplement à se trouver belles avec », explique l’auteure et blogueuse afroféministe dans le texte de la campagne de financement participatif qui visait à soutenir l’édition du livre.

L’initiative qui a connu un grand succès (720 contributeurs au projet) permettra également l’envoi d’une cinquantaine d’albums à différentes bibliothèques.

Pour écrire cette histoire illustrée par Barbara Brun, Mrs Roots s’est inspirée d’une citation de l’auteure américaine Toni Morrison qui décrivait la chevelure afro comme « un million de papillons noirs ». « C’était  un support magnifique qui permettait de créer une histoire », a-t-elle expliqué aux Intelloes. Dans un contexte où la prévention et l’éducation sont présentées comme de véritables moyens pour plus d’égalité, le travail de Mrs Roots semble tomber à point nommé. Interview.

LES INTELLOES : Vous avez écrit un livre dans lequel une petite fille noire apprend à aimer ses cheveux. De qui vous-êtes-vous inspirée ? 

Mrs Roots : De moi ! (rires). C’est une expérience assez commune d’être moquée pour ses traits et ses cheveux quand on est une petite fille noire. Ce que m’a apporté ma mère pour répondre à ces discriminations, c’est cette relation autour du cheveu crépu et une atmosphère de bienveillance, de découverte et d’amour de soi.

Selon vous, les petites filles noires vivant en France manquent-elles de confiance en elles ? 

Oui, clairement. La semaine dernière, une amie antillaise me parlait de sa petite nièce qui ne voulait plus être coiffée car elle avait intégré l’idée qu’elle était différente et que cette différence était connotée négativement. Et ça, elle ne l’a pas intégré seule.

Ca passe par les moqueries à l’école, par les publicités ou les médias où elle ne se voit pas, ou alors par les émissions, les magazines où l’on va rire des afros de certaines personnalités, etc.

Nous vivons dans une société où s’est installé un racisme systémique, ce qui explique que les garçons noirs soient concernés, mais pas de la même façon. Ils ne sont pas soumis à des diktats suivant un modèle de féminité et de beauté.

« PortraitLaura Nsafou aka Mrs Roots. Crédit: DR

Pourquoi avoir choisi de parler des cheveux afros pour redonner confiance aux petites filles noires ? 

Pourquoi pas ? Il faut bien commencer quelque part ! (rires).

Ici, la citation de l’auteure Toni Morrison (« un million de papillons noirs », ndlr) était un support magnifique qui permettait de créer une histoire, mais aussi un outil permettant d’insuffler l’estime de soi pour les petites filles noires. Mais il y a d’autres thèmes comme le colorisme dont je ne parle pas, mais que j’aborderai sans doute plus tard.

Avec Un million de papillons noirs, je souhaitais représenter une réalité qui ne soit pas monochrome, et qui rende aux filles noires le fait qu’elles existent. Aujourd’hui, peut-on dire objectivement que la littérature jeunesse représente notre société, quand on sait qu’on y trouve plus d’animaux que de personnages racisés ?

A ce propos, la littérature jeunesse manque-t-elle de diversité, selon vous ? 

Oui, même si je préfère dire qu’elle manque de réalisme. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette perception de ce qu’on nomme « la diversité », comme un petit détail au milieu de ce qui est défini comme la norme. Mais c’est un autre débat.

Pour l’heure, je pense qu’il est important de signaler les initiatives indépendantes qui visent une meilleure représentation de tous les enfants. C’est le travail des éditions Bilibok, mais aussi d auteur.e.s et d’illustrateurs indépendant.e.s.

Quels autres lectures recommanderiez-vous pour que les fillettes noires aient plus confiance en elles? 

Dans le monde francophone, les ouvrages de Madina Guissé avec Neïba-je-sais-tout, ainsi que ceux de Cristèle Carmen Dandjoa avec Mayi Sirena sont à recommander. Ces livres abordent de nombreux thèmes comme celui du handicap, et bien d’autres…

L’association Diveka, dont je fais partie, fait un gros travail pour adresser les enjeux d’une littérature diversifiée et mettre en avant tous les acteurs et professionnels du monde du livre. C’est un gros travail, notamment de référencement pour recenser les livres qui partagent une démarche inclusive. Pour faire vivre ce type de démarche, il faut des adhérents, et il faut acheter ses livres chez les éditeurs pour leur permettre de changer nos étagères. C’est un processus collectif.

Votre campagne de crowdfunding pour financer l’édition et l’impression du livre a eu un réel succès. Allez-vous offrir vos livres à certaines bibliothèques comme c’était prévu ?

Tout à fait, pour le moment nous avons reçu plus de 130 suggestions d’adresses à qui faire un don. Il faut maintenant contacter ces bibliothèques pour avoir leur accord avant l’envoi des livres.

Quels sont vos projets futurs ?

Je viens de terminer un manuscrit fantastique inspiré des mythologies d’Afrique francophone. Je suis en train de le peaufiner, alors qui sait ce que ça va donner ?

J’ai également écrit des textes jeunesse qui sont prêts à être publiés, mais pour le moment, j’essaie de me concentrer sur la sortie de Comme un million de papillons noirs ainsi que sur ma contribution auprès de Diveka. Ce n’est peut-être que le début…

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois 

* Les Editions Bilibok ont fermé leurs portes, Laura Nsafou est à présent à la recherche d’une maison d’édition qui publierait son album au grand succès. 

Couverture de l'album jeunesse, "Comme un million de papillons noirs" de Laura Nsafou et Barbara Brun

Comme un million de papillons noirs, Laura Nsfaou et Barbara Brun, Editions Bilibok, 36 pages. Prix: 17e