Souhaiter l’égalité des salaires hommes-femmes et apprécier qu’un homme vous tire la chaise au restaurant. La combinaison est possible pour Laurence Caracalla et Eloïse Bouton. La première, auteure de plusieurs livres sur le savoir-vivre affirme qu’aujourd’hui, les femmes sont suffisamment indépendantes pour apprécier la galanterie sans se sentir inférieures. « Elles sont au-dessus de ça ! » explique l’auteure du « Savoir-vivre de la Parisienne » (2017).

Pour Eloïse Bouton, journaliste et féministe, la courtoisie est préférable à la galanterie, qui induit un changement de comportement en présence des femmes. « On peut être un goujat pro-féministe, un courtois sexiste, un goujat sexiste ou idéalement un courtois pro-féministe ! », nuance la fondatrice de la plate-forme Madame Rap. Nous leur avons demandé de nous en dire plus.

 

LES INTELLOES : La galanterie est définie comme une « politesse empressée auprès des femmes » ou « des propos, compliments flatteurs adressés à une femme ». C’est donc un comportement adopté par les hommes en présence des femmes. De fait, peut-on être féministe et aimer la galanterie? 

ELOÏSE BOUTON : On peut être féministe et aimer la courtoisie, la politesse, le savoir-vivre, mais pour moi, galanterie et féminisme sont difficilement conciliables. En effet, la galanterie est sexiste en sens propre du terme, car elle survient en raison du sexe d’une personne. La courtoisie, en revanche, consiste à tenir la porte, tirer la chaise, payer l’addition à n’importe quel être humain, parce qu’on l’apprécie pour ce qu’il est, et non parce qu’il a un vagin, signe de faiblesse ou de fragilité qui légitimerait certains comportements.

LAURENCE CARACALLA : Bien sûr que l’on peut être les deux. Ça ne fait pour moi aucun doute. Les femmes ne sont pas celles d’il y a 50 ans. Elles savent très bien comment agir face aux hommes et ne sont plus de petites choses fragiles. Accepter la galanterie, c’est accepter des hommages. Et pourquoi pas ? À notre époque, on assume sa féminité, cela fait bien longtemps qu’on sait qu’on peut être féminine, coquette, porter des talons hauts et être intelligente ! Et ce n’est certainement pas « une politesse empressée » qui doit nous humilier, nous faire peur et encore moins nous rebuter. Plutôt nous amuser, voire nous faire plaisir.

 

Peut-on faire la distinction entre galanterie et courtoisie aujourd’hui ? 

E.B : Je le pense, oui. La courtoisie n’est pas une affaire de genres. C’est juste une politesse destinée à tou.te.s et  qui peut venir de tou.te.s.

L.C: La galanterie est réservée aux hommes. La courtoisie aux deux sexes. Et bien sûr, la courtoisie est la valeur la plus importante. Un homme qui n’a pas les codes de la galanterie, qui ne sait pas qu’il faut entrer avant une femme dans un restaurant, ce n’est pas grave. Un homme qui se comporte comme un gougnafier, c’est bien plus embêtant !

Un homme qui aide à porter les cartons lourds d’une amie pendant un déménagement ou la valise d’une femme dans le métro, est-ce de la galanterie ? 

E.B : Encore une fois, tout dépend du contexte. Si cet homme aide systématiquement des femmes car il pense qu’elles ne sont pas capables de le faire toutes seules, c’est problématique. Par contre, s’il aide indifféremment femmes et hommes, après s’être assuré que son intervention était souhaitée, cela participe juste au vivre ensemble.  Pour éviter l’ingérence, le sexisme bienveillant et le paternalisme, des phrases du type « vous avez besoin d’aide ? » me semblent toujours bienvenues.

L.C : C’est surtout de l’altruisme avant d’être de la galanterie! Les femmes qui refusent qu’on leur rende service ont un orgueil bien mal placé. On a parfois l’impression qu’elles envoient un message clair : je suis aussi intelligente, aussi forte, aussi débrouillarde que vous, je n’ai besoin de personne. Un comportement que je trouve, à vrai dire, assez ridicule. La vraie égalité, c’est accepter d’être aidée comme accepter d’aider les autres.

« Si vous ne tenez pas la porte à vos potes, par pitié, ne le faites pas pour nous. »

Que dire aux hommes qui refusent de le faire au nom de l’égalité des sexes ? Certains arguent que « les femmes ont voulu l’égalité, donc elles l’ont ». 

E.B : On peut leur dire que là n’est pas la question. Déjà, l’égalité existe peut-être dans les textes, mais l’égalité réelle n’existe toujours pas, c’est d’ailleurs pour ça que les féministes se battent encore en 2017 ! Et après, le jour où elle sera atteinte, je ne vois pas pourquoi elle serait incompatible avec la courtoisie. On peut être un goujat pro-féministe, un courtois sexiste, un goujat sexiste, ou idéalement, un courtois pro-féministe ! Traitez-nous comme vous traitez vos alter egos masculins. Si vous ne tenez pas la porte à vos potes, par pitié, ne le faites pas pour nous. Etre attentionné sans être galant, prévenant sans être paternaliste, et courtois sans être sexiste, c’est possible.

L.C : On leur a cassé les pieds avec le féminisme à tout crin et ils sont effrayés. À ceux-là, je voudrais dire : n’ayez pas peur d’être galants ! Tout le monde ne vous en voudra pas si vous proposez votre strapontin dans le métro à une femme ! Bien au contraire. On trouvera surtout que vous avez rendu notre journée plus agréable ! Jamais on ne pensera que vous nous avez manqué de respect.

Dans un monde où hommes et femmes seraient parfaitement égaux, la galanterie existerait-elle ? 

E.B : Dans un monde où hommes et femmes seraient parfaitement égaux, vous ne m’auriez jamais posé ces questions !

L.C : Je l’espère ! Ce n’est pas antinomique, je le répète. L’éducation est essentielle : on doit apprendre à nos enfants la politesse, le respect. Mais aussi qu’une femme peut accomplir autant de grandes choses que les hommes. Quand ces femmes-là seront sûres de ça, quand les hommes en seront, eux aussi, certains, la galanterie aura de beaux jours devant elle. On la considérera comme un égard, quelque chose d’agréable, voire de gentiment démodée, et certainement pas un affront, pire une manière d’être sous-considérée. La galanterie n’est humiliante que pour celles justement qui ne se sentent pas à la hauteur. Les autres savent bien que ce n’est pas parce qu’on les aide à porter leur valise qu’elles ne sont pas l’égal des hommes ! Elles sont bien au-dessus de ça !

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois