Mars est le mois de l’endométriose. Cette maladie, douloureuse et handicapante concerne près de 10 à 20% des femmes en France. Le tissu utérin (ou endomètre) qui se forme normalement dans la cavité utérine pour accueillir un éventuel embryon pendant le cycle migre et se dépose ailleurs dans le corps. Cela provoque alors des lésions qui peuvent affecter de manière plus ou moins grave les organes touchés.

Le tabou des règles pèse sur l’endométriose, encore incurable aujourd’hui. “C’est la première cause d’infertilité dans le monde, pourtant il existe très peu de spécialistes”, explique le radiologue Erick Petit, membre de l’équipe médicale Resendo, Centre de l’endométriose à Paris.

Les Intelloes publient quatre portraits de femmes qui ont accepté de parler de leur vie avec la maladie, et plus précisément de leur vie intime, chamboulée par l’endométriose.

 

Julie, 30 ans, enseignante en région parisienne

J’ai été diagnostiquée il y a deux ans et demi. Tout a commencé lorsque j’ai arrêté ma contraception pour avoir un bébé. Je suis tombée enceinte, mais c’était en fait une grossesse extra-utérine qui a donc nécessité une intervention chirurgicale. Trois mois après mon opération, les douleurs sont arrivées progressivement. Je les ressentais du côté gauche du bas ventre et dans les intestins. Elles sont devenues très intenses, presque insupportables. Elles me réveillaient la nuit, je dispensais mes cours pliée en deux. Je n’arrivais même plus à marcher.

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J’ai fait des échographies et des examens dans tous les sens, on m’a filé de la codéine à gogo, jusqu’à six comprimés par jour. Cela a duré huit mois. Pendant tout ce temps, je ne savais pas ce qui me faisait souffrir. Les rapports sexuels étaient compliqués. Les pénétrations, quand elles étaient profondes, étaient très douloureuses. Lorsque les souffrances ont commencé à s’intensifier, je n’ai pas eu de rapport pendant au moins six mois.

“Je ne connaissais pas le mot ‘endométriose’”

Avant que l’on m’annonce le diagnostic, je ne connaissais même pas le mot “endométriose”. Je me suis renseignée par moi-même, surtout sur le site EndoFrance. Je prends depuis deux ans une contraception, du Lutényl, qui a apaisé mes douleurs en déclenchant une ménopause artificielle. Cependant, je dois faire face à plusieurs effets secondaires difficiles à vivre comme les bouffées de chaleur, les sautes d’humeur, ou les troubles digestifs. De plus, je manque d’informations. Le médecin m’a dit “on va essayer ce traitement, on verra bien”. Ca a marché, donc j’ai continué.

Aujourd’hui, je me pose plein de questions : si je veux faire un bébé, comment je vais faire ? Il faudra que j’arrête mon traitement, mais comment supporter les rapports alors que j’aurai mal? Le médecin ne m’avait même pas informée que l’endométriose pouvait rendre infertile…

Tout cela me bloque énormément dans ma vie amoureuse. J’ai 30 ans, il va falloir que je trouve un compagnon, que l’on prenne le temps de se découvrir, et, si on le veut, que l’on essaye de devenir parents.  Si je dois faire une FIV ou autre, le mec devra avoir les épaules assez larges pour supporter le traitement. Je ne maîtrise pas du tout mon avenir.

Marie-Rose, 28 ans, juriste en région parisienne

J’ai compris à 24 ans que j’avais une endométriose, mais le diagnostic n’a été posé qu’à mes 27 ans. Il a été un réel soulagement car il signifiait la fin de l’errance médicale et l’accès à des soins.

Dans un premier temps, les symptômes se limitaient à des règles douloureuses. Au fil des années, j’ai eu des crises à l’arrivée des règles. Des violentes contractions me forçaient à rester assise sur les toilettes, une bassine sur les genoux. Je me vidais de tous les côtés, jusqu’à ce que la douleur me fasse faire un malaise.

Après la rupture d’un kyste, les douleurs pelviennes sont devenues quotidiennes: dès que je m’asseyais, j’avais mal au ventre, de même après la défécation où s’ajoutaient des douleurs rectales.  

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L’endométriose a eu un impact significatif sur ma sexualité, mais je ne l’ai compris qu’au diagnostic. Au départ, je ressentais une lourdeur dans le bas ventre après les rapports, puis comme si quelque chose m’empêchait d’atteindre l’orgasme. Je disais à mon copain de l’époque: « c’est étrange, j’ai comme des décharges électriques dans le ventre ».

Est-ce que mon copain s’y prenait mal? 

Mais les médecins et les magazines féminins vous disent que c’est dans la tête, puisque la sexualité des femmes est avant tout mentale, c’est bien connu! Alors j’ai commencé à me questionner: les médecins avaient peut-être raison, est-ce que c’était parce que ça n’allait pas avec mon copain? Etait-ce lui qui s’y prenait mal?

Aujourd’hui, je suis célibataire, et au plus fort des crises, j’ai souvent pensé « au moins je suis seule ». Ca peut être difficile à comprendre de l’extérieur, mais la maladie me prenait tout mon temps et toute mon énergie, je n’aurais pas pu en plus rassurer un conjoint. J’aurais culpabilisé de lui imposer ça.

Je vis très mal les conséquences de l’endométriose sur ma sexualité, encore aujourd’hui. Pour moi, la vie d’une femme nécessite en partie une libido épanouie. Je me suis mise au tantrisme pour supprimer les douleurs après l’orgasme,  mais j’avoue que je crains de me remettre en couple à cause de ces douleurs…

Marie-Rose milite pour une meilleure prise en charge de l’endométriose et publie régulièrement des articles et des informations sur son blog “Endométriose mon amour”.

Anouchka, 31 ans, Bruxelles, employée dans le secteur des médias

J’ai été diagnostiquée à 25 ans, après près de 12 ans de souffrances. Je ressentais des douleurs handicapantes dès les premières règles à 13 ans,  et je ne pouvais pas aller à l’école pendant deux jours. J’étais régulièrement traitée pour des cystites.

Vers 21 ans, les problèmes se sont aggravés, les visites chez les spécialistes étaient hebdomadaires. Je souffrais quotidiennement, et j’ai eu une cystite interstitielle handicapante.

Les rapports intimes étaient impossibles à cause de la douleur, j’avais des difficultés à marcher, une fatigue chronique et une intolérance au gluten.

Aucun spécialiste ne m’a prise au sérieux, mon IRM s’est révelée normale, car il a été réalisé par un service de radiologie classique. Un urologue m’a finalement orientée vers un spécialiste de l’imagerie qui a lui diagnostiqué mon endométriose.

“La nouvelle a été violente”

Je me souviendrais toute ma vie avoir appris le diagnostic après l’IRM et m’être retrouvée seule, en pleurs sur le parvis de l’Hôtel Dieu.

 

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Je me battais pour obtenir cette réponse depuis des mois, des années, mais la nouvelle a été violente. Surtout que je n’ai pas reçu de traitement tout de suite. J’ai continué à consulter différents spécialistes plus ou moins compétents, subi la violence gynécologique lors d’examens invasifs avant de déménager aux Etats-Unis et rencontrer un médecin extraordinaire qui m’a sauvé la vie.

On ne parle pas assez des effets secondaires des traitements contre l’endométriose qui peuvent anéantir la libido.

Malgré tout cela, j’ai eu un enfant en 2016 après une FIV protocole long. Cela a été compliqué, éprouvant, j’ai fait une fausse couche avant de tomber enceinte en 2015. Mon compagnon, avec qui je suis en couple depuis dix ans, est extraordinaire. il m’a toujours soutenue, il a pris mes symptômes au sérieux dès le début, et m’a accompagnée à tous les rendez-vous. La vie avec l’endométriose est complexe, demande beaucoup de bienveillance et de soutien.

 

Floriane, 28 Ans, chargée de relations clients au Canada

En accord avec mon copain, j’ai décidé à  26 ans d’arrêter ma pilule. Je n’avais pas du tout de désir d’enfant, mais je prenais des hormones depuis dix ans, et j’en ai eu assez.

J’ai cherché une autre contraception, mais ma gynécologue m’a affirmé que le stérilet n’était pas fait pour moi, je suis trop sujette aux infections urinaires (cela est un signe d’endométriose, d’ailleurs). J’ai donc opté pour les préservatifs. Très vite, des symptômes sont apparus, des règles hyper douloureuses, et une souffrance pendant les rapports sexuels. Cette dernière a été très dure à accepter, car j’estimais que c’était de ma faute. J’ai fait semblant qu’elle n’existait pas, mais on ne peut pas feindre très longtemps, si le partenaire est assez attentif, il s’en aperçoit très vite.

Je suis allée revoir ma gynécologue qui m’a tout de suite parlé de l’endométriose, elle m’a envoyée faire des IRM et des radios. Mon erreur à été de les faire à la va-vite, encadrée par des médecins non spécialistes. Le docteur a donc déclaré que je ne présentais aucun signe de la maladie.

“Maladie à la mode”

Les douleurs ont persisté, cependant, et j’ai serré les dents durant un an et demi, tous les mois. Un dimanche dans la nuit, j’ai eu une horrible douleur au ventre, j’étais clouée au sol, je ne pouvais plus bouger. Nous avons appelé un médecin de garde qui a conclu à une appendicite.

 

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 Crédit: Tim Marshall

 

Aux urgences, j’ai évoqué les suspicions d’endométriose, j’ai donc passé une fois de plus une radio pelvienne, faite rapidement par un interne très hautain et brutal, qui m’a dit que “non je n’avais pas d’endométriose qu’il fallait arrêter de citer cette maladie à la mode dès que l’on avait une petite douleur”. Finalement, ils m’ont opérée pour l’appendicite, et c’est en ouvrant mon abdomen qu’ils ont constaté que j’avais des lésions et des adhérences un peu partout au niveau de l’estomac.

Le diagnostic est tombé: je souffrais d’endométriose. J’étais à la fois soulagée et en colère. Soulagée de savoir ce que j’avais, sans passer pour une demeurée. En colère, parce que j’ai dû être ouverte à trois endroits dans le ventre pour que l’on s’aperçoive enfin que j’étais malade! Si on formait davantage les radiologues,je n’aurais pas eu besoin de subir une opération. Après avoir lu des centaines de témoignages, je me suis sentie également chanceuse, je n’ai galéré que pendant deux ans, alors que pour la majorité des femmes c’est en moyenne sept ans.

Les douleurs pendant les rapports sexuels ont disparu, aujourd’hui, grâce à des séances avec une kinésithérapeute spécialisée.  Les premières fois, nous avons beaucoup discuté. Au début, je repartais chez moi en ayant mal aux ovaires et je me réveillais le lendemain souvent courbaturée au niveau du ventre. J’ai beaucoup pleuré, mais la kiné à été exceptionnelle, et elle me faisait remarquer mes progrès à chaque séance. Après plus de six mois, à raison de trois à quatre visites par semaines, je ne souffre plus.

Depuis septembre, je prends une pilule  » bio » en continu qui reproduit les hormones du corps. Elle marche très bien, mais n’est évidemment pas remboursée. Donc en plus de se taper une maladie incurable, je dois débourser presque 50 euros par mois pour pouvoir vivre normalement.

 

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois