Ovidie et Diglee publient un ouvrage à mi-chemin entre la BD et l’essai, le manifeste « Libres ! » aux éditions Tapas pour aider les femmes à s’émanciper des injonctions sexuelles. Les Intelloes ont discuté poils, sodomie et sexisme avec les autrices. Rencontre.

« Rien ni personne ne devrait jamais nous dicter notre conduite. » Le message est clair dès les premières pages. La dessinatrice et blogueuse Diglee, et la réalisatrice et autrice Ovidie s’associent pour publier Libres, un « manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels » aux éditions Delcourt/Tapas. « On voulait faire quelque chose qui ne semblait pas exister », racontent-elles aux Intelloes. Leur rencontre date de 2014. Elles sont toutes les deux présentes au festival d’Angoulême. Diglee est admiratrice du travail d’Ovidie, et lui laisse ses coordonnées dans une dédicace de sa BD  Forever Bitch. Quelques mois plus tard, les éditions Delcourt la contactent pour lui proposer un projet sur la sexualité féminine en collaboration avec Ovidie. « Je me suis jetée dessus ! » s’amuse la blogueuse de 29 ans.

L’une écrit, l’autre illustre. Elles se complètent. À elles deux, elles déconstruisent un par un les injonctions sexuelles et les préjugés sur les poils, la sodomie, la fellation ou encore l’invisibilisation du clitoris… Une entreprise qui vise à décomplexer les femmes. « C‘est un projet hybride. Nous avons abordé les thèmes qui nous tenaient à coeur en faisant ce que nous aimions », commente Ovidie.

« Est-ce que je le fais pour moi ? »

Pour s’affranchir de ces diktats sexuels, il n’existe pas de to do list, selon la réalisatrice : « Il faut s’interroger sur nos choix. Est-ce que je le fais pour moi ou pour correspondre à une norme ? Il y a beaucoup de choses que l’on s’inflige. Lorsque l’on en prend conscience, certains de ces actes paraissent insupportables. » Elle enchaîne : « Par exemple, je ne m’épile plus le pubis parce que je trouve ça douloureux et avoir mal à la chatte [sic.], ça m’insupporte ! Je ne suis plus prête non plus à avoir un rapport sexuel si je ne suis pas excitée, chose que l’on a toutes faites alors que l’on n’en n’avait pas envie. »

Diglee, elle, a eu besoin de se laisser pousser les poils et de stopper le maquillage pour se libérer. « Ce sont des choses que je ne faisais pas pour moi. » Elle continue. « Les poils font que nous sommes des êtres sexués. Il faut accepter qu’il n’y a pas qu’une seule beauté ou qu’une seule façon de gérer son corps. »

Sexisme sous les draps

Dans la vie et sur les réseaux sociaux, la parole des femmes se libère. Cependant, nous vivons encore dans une société sexiste. « Ce qui se passe dans la chambre à coucher est dans la continuité des rapports homme/femme au quotidien. On est construites avec l’idée qu’il faut satisfaire un homme. Il y a donc des enjeux politiques forts qui se déroulent au lit, des séries d’injonctions comme le contrôle du corps des femmes. On se demande par exemple si l’on a le droit de jouir, si c’est déplacé ou si l’on doit faire passer la satisfaction de l’homme en premier. » explique Ovidie. Diglee renchérit : « Les femmes ont conscience de la scène de l’acte sexuel. Aucun homme ne se questionne sur l’odeur ou sur le goût de son sexe. On n’apprend pas aux femmes à aimer leurs vagins… On ‘tabouise’ notre sexe ». 

Au milieu des salopes et des prudes

Dans Libres, tout un chapitre (‘Dans l’cul, Lulu’) est consacré à la sodomie. L’autrice y explique que « potentiellement, nous pouvons tous nous faire pénétrer par voie rectale ». Ce sujet est pourtant tabou et la pratique en quelques sortes subie par les femmes. « Si on ne le désire pas ardemment et que l’on n’a pas déplacé son érotisme, ça peut devenir l’enfer sur terre. On ne doit pas se faire sodomiser par amour! ». Pour Diglee, la sodomie relève surtout du fantasme masculin, et du plaisir à dominer sa partenaire : « En toute logique, cet acte est plus intéressant d’un point de vue sexuel pour les hommes. Pour eux, si tu prends quelque chose dans ton cul, tu es avili ». Dans tous les cas, « la clé, c’est le consentement » rappelle Ovidie.

L’analyse est identique pour la masturbation féminine, elle aussi tabou. « On n’est pas censées avoir d’autres activités sexuelles que celles pratiquées dans le couple. Les femmes sont sur une corde raide. Il faut être une ‘femme bien’ au milieu entre les salopes et les prudes. Si on n’a plus besoin des hommes, ça devient hyper menaçant » ironisent-elles.

 Toucher du doigt la liberté

« Être libre est un vaste projet » pense Diglee. Cependant, pour faire un pas en avant vers la liberté, les autrices conseillent de s’interroger sur les « mécanismes d’oppression et de domination », et en trouver la provenance. Il est aussi nécessaire de déconstruire ce que la société et l’entourage enseignent dès l’enfance, même si cela représente un long travail sur soi-même. Pour cela, il est important de trouver des modèles et d’en discuter. Ovidie avoue s’inspirer « des nanas qui ont été sexualisées et stigmatisées de manière assez violente » comme Jayne Mansfield ou Nelly Arcan. « J’aime les personnages qui ont été considérées par la société comme des salopes. » Diglee, quant à elle, a trouvé son inspiration avec Lou Andreas-Salomé, célèbre philosophe et figure d’exception au milieu de ses confrères masculins. « Elle est un véritable modèle stimulant », explique-t-elle.

Couverture du livre Libres de Diglee et Ovidie aux éditions Tapas

© éditions Delcourt

 

Libres, manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, Diglee et Ovidie, éditions Tapas, sorti le 4 octobre 2017, 18,95€.

 

Par Judith Bouchoucha et Ann-Laure Bourgeois