EN 2013, J’INTEGRAIS SANS INQUIETUDE l’éducation nationale, cette immense et bienveillante famille pleine de bons sentiments et d’espoir concernant l’utilité de mon nouveau métier. Après tout, j’avais déjà côtoyé cette faune boutonneuse et sans scrupules qu’on appelle adolescents. L’adolescence, c’est cette période ingrate durant laquelle tes hormones te disent « baise » et que ton corps te dit « tu n’y arriveras jamais » ; comme un dilemme constant entre le corps et un esprit qui tente, malgré tout, de se former et de réfléchir.

Nouvelle arrivante dans un établissement accueillant plus de 2000 élèves, 200 profs, 300 arbres, 3 bâtiments et des écureuils, j’ai dû m’occuper cette année de l’éducation littéraire de plus de 95 élèves dont 80 jeunes hommes en rut.

Je les aime beaucoup, car après tout, ils me renvoient à ma propre adolescence. C’était sans compter la petite remarque bien lourde de M*** alors que je suis passée au lycée incognito ce jour : « Madame, au top le look ! P’tites air max, leggings… Ptit look de hipster ! » .

J’étais gênée d’être gênée.
Adopter un look chic-strict-prof-coinsos

Mon élève a relevé l’entorse à la règle que je suis me fixée depuis mon arrivée au lycée : adopter un look chic-strict-prof-coinsos ; par peur d’être confondue avec mes élèves – par peur d’être jugée par mes collègues eux aussi chico-strict – par peur d’attirer trop de sympathie, ou je ne sais quoi. Comme mes adolescents qui cherchent constamment une place au soleil au sein d’une cour impitoyable, je cherche un endroit où me caser. Sauf que le soleil, je ne sais pas trop où il est.

« Oh, ce n’est pas un métier qui rend riche ou célèbre, mais tu verras, la reconnaissance que tu liras dans les yeux de tes élèves sera la plus grande de tes richesses ». J’ai longtemps cherché la reconnaissance dans le blanc, puis l’iris, puis la pupille des yeux de mes élèves. En vain. « L’enseignement, c’est vraiment une vocation… Tu sauras si tu es faite pour ça au moment même où tu te retrouveras nez à nez avec une classe. » Foutaises. J’adore mon métier mais la vérité est que je cherche continuellement à me « placer ». Me faire aimer.

« Vous foutez rien! Et puis les vacances!  »

Etre enseignant aujourd’hui, c’est faire face à l’opinion publique, qui, malade et bipolaire, congratule les profs : « Vous êtes courageux, c’est vrai, moi je ne pourrais pas ! C’est une vocation ! ». Puis les descend la seconde d’après : « Mais tout de même, vous ne foutez rien ! Et puis les vacances ! Et puis j’avais un prof de maths, qui ressortait tous les ans le même cours ! Alors on sait bien qu’au bout d’un moment, hein, c’est relax… » La vocation. La vocation, c’est ce vers quoi le destin ou la nature dirige un être humain, ce qui prend une dimension quasi-mystique et religieuse dans la bouche de ma boulangère, de mon oncle ou de mon prof d’équitation.

La vocation excuse tout, annule tout, panse les blessures, fait taire les insultes, le bruit, la violence. La vocation exclut les échecs et la remise en question. La vocation, si vous voulez mon avis, devient la gangrène de l’éducation nationale.

Comment, en effet, trouver une place dans la société quand elle vous traite de glandeur bienheureux ? Quand le moindre effort fourni est atténué et légitimé par une inspiration divine combinée à un outrageux nombre de jours de congés ?

Non, je n’ai pas encore trouvé ma place. D’ailleurs, je me suis faite larguer par mon mec cette semaine.

Encore une place à prendre, une autre à trouver. Et un gros cul à caser, je vous préviens.