Sabine Pakora est actrice et comédienne. Aux Intelloes, elle a parlé des rapports de domination dans le monde du cinéma, du théâtre, et de la difficulté pour les femmes noires de s’y faire une place.
Pouvez-vous citer plusieurs noms de comédiennes noires françaises ? C’est de cette question qu’est né Noire n’est pas mon métier sorti le 3 mai dernier (éd. Seuil). Dans ce livre coup de poing présenté par l’actrice Aïssa Maïga, 16 femmes noires dénoncent le racisme et les stéréotypes qu’elles doivent affronter dans leur profession. Parmi elles, Sabine Pakora. Après avoir longtemps essuyé des refus et subi le manque d’opportunités professionnelles, l’actrice d’origine ivoirienne joue aujourd’hui des petits rôles à l’écran.
Sabine vit parfois son métier avec malaise, et dans un climat de tension . “Je n’ai pas toujours envie que mes amis et mes proches voient mes films, ou mes pièces de théâtre. J’y joue des rôles stéréotypés et empreints de racisme: ils sont construits dans un rapport d’infériorité et soulignent une origine exotique. Cela passe par un accent africain exacerbé, ou des vêtements bariolés.” Avec finesse, la jeune femme analyse le monde du théâtre et du 7e art aujourd’hui. “Alors que la société avance et commence à se questionner sur ses représentations, scénaristes, réalisateurs et metteurs en scène sont encore réticents à montrer des personnages non-blancs, ou des corps différents des normes.”
Noire n’est pas mon métier a permis à Sabine d’aborder des problématiques qui la concernent à part entière : les rapports de domination, et les discriminations. “En tant que femme, noire, française, comédienne, il était temps de s’emparer du sujet”, déclare-t-elle. Entretien.
Les Intelloes : Bonjour Sabine, peux-tu te présenter ?
Sabine Pakora : Je suis comédienne noire et française. Je précise ma couleur car cette dernière impacte mon travail.
Je suis arrivée en France à l’âge de quatre ans, j’ai été très tôt séparée de mes parents et de ma famille . Mes soeurs et moi-même sommes arrivées dans une région du sud de la France où notre identité n’était pas forcément la bienvenue.
Je suis la plus jeune de la famille, et les moments de partage avec ma fratrie étaient ceux durant lesquelles nous regardions la télé et des films ensemble.
Plus tard, j’ai constaté que les films permettaient d’exprimer des non dits.
J’ai toujours voulu devenir comédienne. J’ai obtenu un bac spécialité théâtre, et j’ai poursuivi mes études au conservatoire de Montpellier, puis à l’Esad à Paris.
Quelles difficultés as-tu rencontrées dans ton parcours ?
A mon arrivée dans la capitale à 19 ans, j’ai été surprise du manque d’opportunités. De plus, je n’avais pas de réseau. Lors du peu de castings que je passais, il m’était gentiment expliqué qu’on ne recherchait pas de Noire, ou sinon une femme plus âgée pour des tournages traitant de l’immigration.
On me refusait même des jobs d’ouvreuse! Je dénichais des boulots en tant que baby-sitter. Financièrement, c’était compliqué.
Au bout d’un moment et malgré moi, j’ai arrêté mes recherches et je me suis lancée dans la danse, qui m’a permis de garder intacte ma sensibilité artistique.
J’ai notamment joué dans la comédie musicale Kirikou et Karaba de Michel Ocelot mis en scène par le chorégraphe Wayne McGregor. J’ai aussi dansé avec la Compagnie Montalvo de José Montalvo et Dominique Hervieux .
Malgré tout, tu as décidé de poursuivre ton rêve de devenir comédienne…
Lorsque je suis revenue à ce métier, j’ai constaté que je me retrouvais sans cesse enfermée dans une identité dont je n’arrivais pas à me défaire. On m’imposait malgré moi un statut, une image qui n’était pas celle dans laquelle je m’étais construite.
J’étais constamment renvoyée à des personnages exotiques, semblables à la domestique dans Autant en emporte le vent. Horrible ! Le raccourci était vite fait entre mon apparence physique de femme ronde et ma couleur de peau.
J’incarnais donc pour le cinéma la Mama parfaite ! À Montpellier, c’était un peu différent, notamment au conservatoire où mon identité d’apprentie comédienne noire fascinait. J’étais la seule élève noire de ma promo, et je décrochais systématiquement le rôle lors des castings, du fait de la concurrence inexistante.
En région parisienne, la population noire, plus importante, n’est pas appréhendée de la même manière. Mais les préjugés subsistent : en cours de théâtre, certains profs estimaient que je devais ressentir ou exprimer mes émotions différemment des autres parce que j’étais Africaine, et descendante de « peuples primitifs ».
J’ai commencé des études d’anthropologie, puis de sociologie pour comprendre l’enfermement dans lequel on me renvoyait sans cesse.
L’anthropologie a eu pour effet de me reconnecter avec mes origines et de me réapproprier mon identité. La sociologie, elle, a été un moyen de trouver de l’apaisement en analysant les ressorts systémiques de ces rapports de domination.
Comment as-tu accueilli la proposition d’Aïssa Maïga de participer à l’écriture du livre Noire n’est pas mon métier ?
J’ai d’abord eu peur d’être blacklistée si je participais à cet ouvrage. J’avais l’impression que la société française n’était pas prête à engager ce dialogue. Puis, le fait d’avoir une parole commune avec les autres auteures m’a rassurée. En groupe, on est toujours plus forts !
Je souhaitais vraiment livrer mon ressenti sur le métier. J’ai commencé par le bas de l’échelle, et j’ai vécu beaucoup d’expériences assez violentes. Il faut savoir que dans la “machine production”, un figurant est la dernière roue du carrosse. C’est un monde vraiment hiérarchisé, à la limite du féodalisme.
Souvent, les metteurs en scène et les réalisateurs pensent que mon apparence de femme ronde est un handicap pour mes personnages, alors que c’est loin d’être le cas. J’adore jouer, endosser d’autres identités!
On m’a souvent demandé de jouer des rôles de tantines qui tchipent en roulant des yeux, de banlieusarde, de migrante en situation de détresse. Tout cela donne l’impression de ressembler à un casting sauvage, comme si on m’avait ramassée à Château rouge! (quartier de Paris, ndlr.).
Pourtant, j’ai grandi une grande partie de ma vie dans un environnement blanc. D’abord dans une famille d’accueil avec des babas cools, puis en foyer avec des éducateurs, dont une soixante-huitarde que je considère aujourd’hui comme une membre de ma famille. Autour de moi, seule ma fratrie était noire.
Pourtant, les gens ne voient qu’une apparence de femme noire et grosse. C’est pénible et compliqué car on sent un regard empli de racisme.
Aimes-tu ton métier malgré tout?
Je vis ma pratique de comédienne de façon schizophrène. On me recrute pour faire du blackface, je déteste cela! Pourtant, c’est la seule façon d’exercer mon métier. Ces contradictions génèrent en moi des tensions. J’espère un jour monter mes projets ou travailler avec un réalisateur qui me considérera comme comédienne à part entière .
Aujourd’hui, malgré quelques belles opportunités de tournage, je joue majoritairement des personnages anecdotiques et stéréotypés.
Penses-tu qu’exercer ta profession aurait été plus facile si tu n’avais pas été noire ?
Il faut savoir que la situation peut aussi être compliquée pour les comédiennes blanches, qui doivent affronter la concurrence.
Néanmoins, une fois leur place faite dans leur métier, elles n’ont pas à payer le prix de la discrimination raciale.
Montée des Marches des 16 co-auteures de Noire n’est pas mon métier au festival de Cannes 2018
Comment expliquer le manque de diversité dans le monde du cinéma, de la télévision, du théâtre?
Une femme noire grosse au coeur du scénario, ça fait peur à l’écran ! Les réalisateurs se demandent: comment va-t-on pouvoir se projeter à travers elle, la trouver belle, intéresser les spectateurs ?
Le regard de l’homme valide ou invalide le corps de la femme, cette dernière est soumise à son approbation. Je ne vais pas rentrer dans des cases pour me soumettre aux diktats qui pèsent sur le corps des femmes.
Le cinéma français veut des filles mignonnes et normées. Il arrive souvent qu’un personnage noir désiré dans le scénario de départ disparaisse à la dernière étape du casting. Tout cela pour coller aux standards et aux préjugés habituels!
Mais quand je pense aux standards de beauté, je ne me limite pas à la France. En Italie, aux Antilles, en Angleterre, ou dans certains pays d’Afrique, mon identité et le regard posé sur mon apparence, ne sont pas toujours soumis aux mêmes injonctions.
Aujourd’hui, le public prend en compte cette pluralité. Il veut voir d’autres destins, d’autres histoires, d’autres physiques!
Que dirais-tu aux jeunes filles noires qui veulent devenir comédiennes ou actrices?
Dans une société où l’on est discriminé, il faut fournir plus de travail que ceux qui ne le sont pas. Mais il ne faut abandonner ses rêves, aujourd’hui il est possible d’être dans l’action !
Quels sont tes projets pour le futur ?
Je joue dans le film Black Snake de Thomas Ngijol et Karole Rocher (sortie le 26 décembre 2018, ndlr.). Je travaille sur des projets d’écriture personnels. J’ai aussi terminé un scénario de court-métrage, et j’écris un texte de seul en scène qui sera mis en scène par Frédéric Maragnani.
Propos recueillis par Ann-Laure BOURGEOIS
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