La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania met en scène les violences policières et sexuelles de son pays dans un film cinglant qui réveille les consciences.

Tunisie, trois ans après le printemps arabe. La réalisatrice Kaouther Ben Hania  raconte l’histoire de la rebelle Mariam qui vit dans un foyer de jeunes filles. Accompagnée de son amie Najla, l’héroïne, incarnée par l’actrice Mariam Al Ferjani, cherche une place dans cette société encore fragilisée par les récents événements politiques. Malgré la présence d’un pouvoir dominé par les islamistes, les Tunisiens résistent pour préserver leurs droits.

Viol et mutisme

A l’issue d’une soirée, Mariam est violée par deux policiers. Commence alors pour la jeune femme une longue traversée, un parcours du combattant pour faire reconnaître l’agression qu’elle a subie. Devant le scandale que représentent toujours les violences sexuelles dans les pays du Maghreb, Mariam fait face à un mutisme de la part de tous. D’abord à l’hôpital, où elle est renvoyée de service en service, puis de la part de la police elle-même. Mariam doit alors incriminer l’institution dont le rôle est de l’aider à faire entendre sa voix.

Dans la marée d’hommes incrédules, puis inquiets d’êtres accusés, chacun joue un rôle. Il y a ceux qui ne veulent rien entendre, jouant de prétextes juridiques pour éviter d’être impliqués. Il y a aussi ceux qui tentent d’étouffer les cris de Mariam, cherchant par tous les moyens de la dissuader de s’engager dans cette guerre perdue d’avance. Et puis il y a “la meute”, ces loups prêts à tout pour l’intimider.

Les dos qui se tournent

Le film, morcelé en chapitres, transporte le spectateur de manière brutale vers chaque étape que Mariam traverse. La stupeur et l’horreur de l’agression, puis la violence qui colle à la peau. Vient ensuite la recherche d’une aide, les portes qui se ferment, les dos qui se tournent face à ce qui gêne. La rage qui gronde, ce terrible besoin de justice, mais l’espoir qui s’amenuise devant le labyrinthe sans fin des couloirs du poste de police.

Inspiré d’une histoire vraie, La belle et la meute entretient une atmosphère angoissante. Le film reprend les codes du cinéma d’immersion, l’absence quasi totale de musique prend le spectateur à témoin de chaque scène. L’ambiance nocturne de Tunis et les lumières blafardes du commissariat renforcent la sensation d’errance. Le sentiment d’impuissance face à la solitude grandissante de Mariam et à ses multiples appels aux secours est bel et bien là.

La peur de Dieu

Kaouther Ben Hania rend compte d’une société oppressante où les agissements de beaucoup sont régis par la peur de Dieu, et la culpabilité de désirer le corps de la femme. La police est elle une entité aux contours peu définis et paralysée par une situation fragile. Elle doit redorer son blason, prouver sa valeur auprès du peuple.

Manquent peut-être seulement quelques réponses. La sensation d’inachevé à la fin du film est perturbante, l’avenir semble incertain. Les démêlés bureaucratiques qui émergent à la fin sont loin d’être rassurants.

Un film à voir donc, tant pour le témoignage sur l’omerta qui subsiste encore dans le cas de violences sexuelles, notamment lorsque le pouvoir est lui-même l’agresseur. Mais également pour la prestation de Mariam Al Ferjani qui fait honneur à toutes les femmes qui ont un jour subi l’indifférence.

La Belle et la Meute, par Kaouther Ben Hania, sorti en salles le 18 Octobre 2017, 1h20.

Héloïse Rakovsky

 Crédit image:  © Jour2Fête