Dans Surdose, le journaliste Alexandre Kauffmann raconte son immersion d’un an au sein d’une brigade de police anti drogue. Il en ressort un livre hydride qui raconte des faits réels, entre le polar et l’enquête. Les Intelloes ont rencontré l’auteur. Portrait.

« Drogues et délires ». Le dernier ouvrage des éditions Goutte d’or nous emmène sous les combles du 36, quai des Orfèvres, là où le journaliste Alexandre Kauffmann s’est invité pendant plus d’un an. Au sein des locaux de la brigade Surdoses, qui donne son nom au livre éponyme, ce dernier a suivi les enquêtes menées à Paris suite aux morts par overdose. Les policiers remontent alors les filiales des trafiquants de drogue, pour que ces derniers soient jugés par un tribunal.

Antécédents judiciaires

La première fois que l’on rencontre Alexandre à la soirée de lancement de son livre, il paraît timide et nerveux. Plus tard, il explique : « Je n’aime pas avoir l’attention sur moi. » Sa famille et ses amis sont présents, mais aussi les membres de l’unité policière Surdoses. Ils sont venus en groupe et ne se désolidarisent pas. Nous apprenons que l’un deux a enquêté sur les antécédents judiciaires d’Alexandre avant de l’intégrer à l’équipe : « Un policier dans l’âme », commente le journaliste.

Pourtant, son passé est bien connu des services de police, son ancienne relation à l’alcool l’ayant mené plusieurs fois en garde à vue. Est-ce pour cela que pendant son immersion, le journaliste ressent de « l’empathie » pour les suspects ? Malgré ce sentiment, il reste neutre tout au long du récit. D’autant plus que l’écrivain met à profit une expérience qui ne date pas d’hier.

Matière romanesque

Il y a quelques années, un ami d’enfance, lieutenant de police, lui propose « de manière informelle » de l’accompagner dans ses permanences en Seine-Saint-Denis. « Les patrouilles m’ont passionné. La matière romanesque est incroyable », analyse-t-il. Alexandre commence dès lors un premier roman « avec une trame polar » Stupéfiants (éd. Flammarion), qui paraît en janvier 2017. C’est d’ailleurs en tant que romancier qu’il met les pieds pour la première fois au « 36 ». Les membres de la brigade lui donneront leur entière confiance.

Son travail donne également lieu à reportage paru dans Le Monde qui attire l’attention de Geoffrey Le Guilcher, l’un des trois fondateurs des Editions Goutte d’Or. Il propose alors à Alexandre Kauffman de publier un livre.

« Pendant cette année d’écriture, il y avait le côté très sombre, quand je suivais le groupe Surdoses où les morts sont quotidiennes », explique-t-il.  Parallèlement, il vit avec émerveillement la naissance de son premier enfant, à 43 ans. Il écrit deux livres en tant que « ghost writer » (auteur fantôme, ndlr.) . Il travaille aussi au Mozambique, au Japon, ou encore en Egypte pour des reportages dans la presse française, parce qu’il est « un jeune daron qui s’active pour sa famille ». 

Confidentialité 

Cependant, journalistes et policiers ont des objectifs contraires. Les premiers cherchent à rendre publiques les informations. Les seconds veulent que leurs affaires restent secrètes. « Après l’article, j’étais réglo. J’ai respecté la confidentialité de la procédure », explique Alexandre.

Pourtant, il aurait pu « tout faire foirer », selon lui. « Ils m’envoyaient sur des missions et je n’y étais absolument pas préparé. » C’est d’ailleurs le cas dans ce fameux passage de Surdose : Alexandre et des membres de la brigade se trouvent dans un bar à chicha afin de remonter une filiale. La personne surveillée invite le journaliste à sa table… Les policiers décident de lever le camp immédiatement.

Pour son livre hybride, le journaliste est dans « l’investigation artistique ». Il utilise « les outils romanesques au service du réel », inspiré par Tom Wolfe, le « pape du nouveau journalisme ».

Cadavres au fil des pages

Alexandre Kauffman se nourrit aussi des procédures judiciaires qu’il épluche jusqu’au petit matin. Elles sont son « arc narratif » qui lui permet de construire l’ouvrage. L’auteur sait à l’avance que le livre débutera par un décès par overdose. C’est sur un corps sans vie nu à quatre pattes que s’ouvre le livre.  Il tire ensuite « le fil de l’enquête » en ajoutant la description d’un cadavre abimé d’une folle répugnance.

« Les policiers voient la face sombre de l’humanité », commente-t-il. Mais ces enquêtes ont un impact sur sa sphère intime. « Mettre une distance entre la vie personnelle et la vie professionnelle est difficile », commente-t-il. Pour s’en libérer, il parle de ce qu’il vit à sa femme, une sorte de monologue qui lui permet de faire le point. « Elle était étonné que je m’intéresse à des sujets aussi angoissants. »

En faveur de la légalisation des drogues

À la manière d’un ethnographe, il questionne les normes sociales. « J’ai abordé les drogues à travers les excès jusqu’à la mort. La drogue ne fait pas partie de la culture, elle est inscrite dans la nature. » Il se prononce en faveur de la légalisation de toutes les drogues « avec un suivi socio-médical qui reste à définir ».

L’auteur juge d’ailleurs la loi française assez illogique. Aucune distinction n’est faite entre le cannabis et les drogues dures. Selon un texte de 1970, une personne qui consomme de la drogue est à la fois un délinquant et un malade.  » Les toxicomanes sont les seules personnes en France qui sont malades et punies par la loi. En mourant, elles deviennent victimes », rappelle-t-il.

 

Couverture de Surdose d'Alexandre Kauffmann

© éditions Goutte d’or

Surdose, Alexandre Kauffmann, éditions Goutte d’or, paru le 15 février 2018, 275 pages, 17 euros.

 

Judith BOUCHOUCHA