A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes ce 8 mars, Les Intelloes publient le portrait de trois hommes féministes, ou presque. Alors que le mot est décrié, refusé par certaines, ultra-revendiqué par d’autres, faut-il également parler du « féminisme des hommes», qui acceptent cette étiquette tout en marchant sur des œufs ? 

  • Julien 30 ans, social manager, « féministe par éducation »

J’ai toujours été féministe, sans en avoir conscience

 


Un père d’origine italienne issu de la classe populaire, une mère née dans la bourgeoisie de province catho, mais open. Julien décrit sa famille comme un « choc des cultures » entre deux milieux sociaux aux antipodes. Malgré les différences, le jeune homme affirme que c’est son éducation qui a façonné le féministe qu’il est aujourd’hui. « J’ai surtout été élevé par ma mère et mes grands-mères, des femmes fortes qui ont eu des vies assez exceptionnelles et émancipées. Je pense que j’ai toujours été féministe, sans même en avoir conscience ».

Aujourd’hui, Julien a des avis qu’il assume complètement. Sa définition du féminisme s’inscrit dans un rejet de toute domination d’un groupe sur un autre en général : « Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait justifier qu’un être humain se sente supérieur à un autre sous prétexte qu’il a un pénis. Le suprématisme, sous toutes ses formes, me débecte profondément. » C’est de ce constat simple que vient son engagement. Il se retrouve dans les idées de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, célèbre pour avoir été citée dans la chanson Flawless de Beyoncé  : « Une personne féministe est une personne qui croit en l’égalité des sexes au niveau social, économique et politique. »

Au mot « égalité », il préfère le mot « équité ». Les débats de Julien sont enflammés, ses avis tranchés. Au travail comme dans la vie personnelle, il estime militer à son échelle en restant fidèle à ses valeurs. Mais il serait prêt à faire plus encore. Est-il une exception dans son entourage ? Ses amis ne se disent pas féministes mais « traitent les femmes comme leurs égales ». Julien constate qu’il est difficile pour les hommes de se positionner : « Il existe une vraie schizophrénie, entre virilité et sensibilité. Mais le féminisme n’a pas vocation à aider les hommes, il leur ouvre l’esprit».

Sa sensibilité à la question du sexisme s’est renforcée au fil du temps : « Quand on est un garçon, appréhender tous les aspects du sexisme dit « ordinaire » n’est pas inné. C’est un véritable apprentissage. On ne pourra jamais ressentir ce que les femmes ressentent, mais on peut faire l’effort de se mettre à leur place. »

Comment les choses peuvent changer, selon lui : « Il faut faire bouger les lignes dans les entreprises et travailler sur l’éducation. Je dirais même que c’est une mission éducative ».

  • Lucien, 25 ans, consultant en management, pro-féministe dans l’intérêt des hommes

Pleurer devant sa copine, c’est impossible

Pour Lucien, se décrire comme féministe est inapproprié. Son analyse est pourtant identique à celle des militants : la société est patriarcale et les femmes en sont victimes. Cependant, il estime que les hommes en souffrent eux aussi… beaucoup.

Un avis qu’il exprime dans un groupe de discussion Facebook fondé par une femme, dont il est administrateur, Feministo ! Ses membres sont en faveur de l’égalité des sexes. Cependant, impossible de joindre le groupe puisqu’il est uniquement réservé aux hommes.

« C’est 20 fois plus facile de tomber le masque et d’admettre ses faiblesses avec d’autres hommes. Je ne ressens les injonctions à la virilité à peu près qu’en présence des femmes », justifie Lucien. Des arguments contestables, qu’il puise dans son expérience : «Pleurer devant sa copine est impossible. On m’assigne un rôle débile de chasseur dans les rapports de séduction. Impossible de faire du télétravail parce que les stéréotypes ont décidé que je suis censé être au boulot, tandis que les femmes s’occupent de la vie domestique ». Ses déclarations surprenantes sont-elles à mettre sur le compte d’un manque d’ouverture d’esprit de son entourage ? Apparemment non. « Certaines réactions sont épidermiques quand on parle de souffrance masculine dans les milieux féministes classiques », explique Lucien.

Il encourage donc les combats en faveur de l’égalité des sexes pour mettre fin à la pression qui dicte leur comportement aux hommes, mais aussi pour changer cette société qui les « traite comme du bétail ». Opportuniste ? Lucien n’a pas encore trouvé d’organisation qui corresponde vraiment à ses revendications : « J’ai milité, notamment au sein de l’association Stop Harcèlement de Rue. Mais à ce jour, je n’ai trouvé aucune organisation féministe francophone prête à reconnaître l’existence de problématiques spécifiquement masculines et à nous considérer comme des victimes du sexisme à part entière ».

Comment les choses peuvent changer, selon lui : En reconnaissant la souffrance masculine. « Le rôle féminin n’est pas fondamentalement plus agréable que le rôle masculin »

  • Saeptem, 26 ans, journaliste et féministe éduqué par Twitter

« Je reprends mes potes lorsqu’ils font des remarques sexistes »

 C’est via Twitter que j’ai eu accès à des lectures féministes, qu’on m’a mis en face de mes comportements problématiques et que j’ai pu rencontrer et discuter avec des militants ». Pour Saeptem, il y a un avant, et un après réseau social.

Cependant, se déclarer comme féministe est chose délicate, pour le journaliste. Une étiquette qu’il ne veut pas revendiquer au risque d’être jugé illégitime. « La bataille sémantique fait rage. Certaines estiment qu’un homme ne peut pas être féministe par définition par exemple. Il faudrait le qualifier d' »allié » ou « proféministe ». Pour moi, peu importe, le plus important, c’est d’essayer de faire avancer les choses. »

Et tous les moyens sont bons, à son échelle. « Je ne pas cache pas les valeurs que je défends, j’essaye de les diffuser. Je reprends mes potes lorsqu’ils font des remarques sexistes. Je bosse dans la section web d’un magazine féminin et on essaie de se détacher des réflexes sexistes (et racistes, d’ailleurs) de la presse qui veut générer du clic ». Saeptem participe également à des réunions féministes, dans lesquelles il ne veut pas s’imposer en «limitant son temps de parole». C’est ce qu’il décrit dans cette tribune publiée sur Cheek Magazine.

Comment les choses peuvent évoluer, selon lui : « Se changer soi, déconstruire ses propres comportements, c’est un énorme pas en avant. Si tout le monde faisait cet effort-là, qui peut sembler minime à l’échelle globale, on avancerait plus vite. Le plus gros chantier auquel il va falloir s’atteler en tant qu’hommes est aussi la déconstruction de la ‘masculinité toxique’. Mais le chemin est encore long.»

Ann-Laure Bourgeois