Ô LECTRICES (LECTEURS ?) DE CE BILLET, je vous entends me huer, me médire et crier scandale suite à mes propos un brin outranciers sur les profs de sport et leurs habitudes dans un de mes précédents billets. Aujourd’hui, zoom sur le célibaprof de 30 ans.
Car si les traits de mes personnages sont certes un peu poussés, ils n’en ont pas moins été observés dans la vie réelle (si, si, la vraie vie !). Et, puisque ma croyance en mon signe astrologique m’intime l’ordre de faire justice à cette partie de l’humanité (je suis balance) je vais traiter d’un sujet délicat aujourd’hui : les profs de lettres. « Prof de français, quoi ! », me direz-vous.
Non. Non, non et non.
La distinction est pourtant évidente : le prof de français, lui, enseigne simplement une langue, au même titre que l’anglais, l’allemand ou le suédois ; le professeur de lettres, lui, enseigne la littérature, les arts, les sciences du langage et de l’expression . Il est garant de la transmission des savoirs et de la culture française, européenne et mondiale. Un professeur de lettres, ça se respecte. Et ça se la pète.
Le prof de lettres vaut le détour
D’ailleurs, celui-ci est tant respecté que l’on n’entend que lui. On ne voit que lui. Souvent amateur de théâtre, passionné de lyrisme poétique, le professeur de lettres parle, harangue, apostrophe ; ses grands gestes amples et la tonicité de sa voix brassent tant l’air environnant que l’on s’éloigne de lui par peur du coup de froid. Seuls quelques initiés parviennent à comprendre son langage fleuri et châtié : profs de lettres, parfois d’histoire, ils attendent surtout leur tour pour monter sur les planches.
Visuellement, le professeur de lettres vaut également le détour. S’il est un homme, il jouera le poète maudit : chemise froissée, barbe mal rasée, clope au bec, et, pensant sortir tout droit d’un roman du XIXe, il exhibera ses chaussures à boucles mal cirées.
S’il est une femme, celle-ci jouera de frous-frous aux couleurs chatoyantes, de colliers exubérants et de grosses bagues brillantes, de telle sorte qu’on suivra plutôt les va-et-viens de sa main plutôt que ses propos.
Il étudie « Momo, petit prince des bleuets »
« Pourquoi ce besoin de se sentir exister ? », me demanderez-vous. Le professeur de lettres veut se sentir exister, aime s’entendre déclamer, accaparer l’attention de tous en gueulant, riant, pleurant, parce qu’il a les BOULES. Pendant cinq longues années, on l’a préparé à commenter, disserter, analyser du Sarraute, Rilke, Lagarce, Mallarmé, Rabelais, Huysmans ; il a traduit du latin pendant des heures, cherché la nature profonde des propositions subordonnées ; il a commencé une thèse sur l’expression de la mort de Dieu dans la poésie moderne et contemporaine en Europe. Aujourd’hui, il étudie Momo, petit prince des bleuets, fait apprendre la conjugaison de « prendre » par cœur, et confirme à Ryan qu’il est préférable de tourner la page du cahier lorsque celle-ci est remplie.
Constituant un concentré de ces charmants atours, je me suis rendue à l’évidence en début d’année, que seul un autre type de mon espèce, de mon type, de ma race lettrée accepterait d’être mon mec pour une durée de plus de six mois. Parce que le pourcentage d’hommes en lettres doit avoisiner les 10 %, et que le lettreux est chose rare, je décidai donc d’accepter de sortir avec mon meilleur ami, seul connaissance masculine correspondant à ma recherche.
Je suis la dompteuse de tigre
D’abord, je me suis senti pousser des ailes : choisie par un homme hétéro, plutôt beau gosse, qui évolue dans un milieu exclusivement féminin depuis ses 17 ans, j’étais l’élue, la dompteuse de tigre, la prêtresse des célibaprofs, la déesse des lettres.
Puis il s’est lassé. Lassé, sans doute, de voir en moi le soir le reflet de la journée passée au collège, lassé de me voir corriger les mêmes contrôles que lui, lassé de vouloir parler de Sartre lorsque nous faisions l’amour.
Puis il m’a répudiée.
Comme les quinze dernières filles avec lesquelles il est sorti. Le célibaprof de lettres, seul à 30 ans, mesdames, est un ténébreux, un veuf, inconsolé, en somme, un Orphée qui se serait transformé en Dom Juan égocentrique et perturbé et qui va vous convaincre qu’il est un mec bien alors qu’il est une pourriture de plus.
Echec total. A-t-on vraiment envie, durant nos loisirs, d’observer chez l’autre des traits, des habitudes, des déformations professionnelles que l’on peut déjà constater chez soi ? Qui nous rappelle le travail ? Qui nous rappelle les élèves ?
Voici la fin du portrait du célibaprof. Je m’en vais maintenant relire un peu de Rousseau, puisque j’aime tant la fessée.
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