LA PRÉ-RENTREE, C’EST LA RENTRÉE DES PROFS. Celle qui leur fout le cafard tout en étant attendue et désirée. J’ai le bonheur -très dissimulé- d’effectuer ma pré-rentrée dans un établissement différent tous les ans et j’assiste chaque année à la même danse de la pluie rituelle.

Le stagiaire a une sacoche en cuir et des souliers cirés

J’arrive un peu angoissée dans le hall d’accueil où un grand troupeau de profs piaffe de joie de se retrouver, se claque la bise bruyamment et s’interpelle. Dans un coin de la salle, près des gâteaux et du café, les nouveaux se regroupent. On reconnaît le stagiaire à sa sacoche en cuir neuve et ses souliers cirés. Il a une tête de poupon. Les conversations font rage : « Tu es nouveau toi aussi ? -Oui. -Ah. Pas mal le café. »  Puis un silence plombant jusqu’à la réunion plénière.

Je porte une jolie robe, et d’ailleurs tout le monde paraît apprêté. La photo de classe a lieu à 10h et tout le monde souhaitera se rappeler de son teint hâlé, reposé et son allure soignée lorsqu’en plein hiver nous aurons tous des cernes noirs, les cheveux en vrac et aurons opté pour des baskets plus confortables.

La réunion plénière, c’est chiant. Le principal parle, personne ne l’écoute. A ma droite, le stagiaire sort un calepin. Il est le seul à prendre des notes, avec l’efficacité d’un étudiant. Les autres s’en mordront les doigts plus tard – « Mais on  ne m’avait pas prévenu que le cross aurait lieu le 6 octobre ! », vociféreront-t-ils.

Vient le moment de l’appel 

Il n’y a aucun mec mignon. Aucun. En revanche, certains anciens sont bien trop contents de se retrouver pour n’être que de simples amis. Collègues depuis 17 ans, ça rapproche, sans doute.

Vient le moment de l’appel. L’appel des nouveaux. Chacun se lève, dit un bonjour timide – pas trop fort pour ne pas avoir l’air trop sûr de soi, pas timide non plus pour ne pas risquer d’être pris pour une plante verte. Tous les regards sont rivés vers nous. C’est notre moment le gloire.

Les discussions reprennent jusqu’au moment où le chef prononce le mot « emploi du temps ». Celui-ci ne le distribuera qu’à la fin de la réunion, afin de ne pas perdre le peu d’auditoire qu’il lui reste par des cris de révolte et d’indignation : « Mais j’avais dit que je ne voulais pas de 6èmes ! », « Putain, quel emploi du temps de merde !» , « Je voulais mon lundi matin, merde ! » « Ah non je ne serai pas prof principal ! » Seul le stagiaire est content. Il range ses lunettes et décroise les jambes.

Le reste de la journée sera ponctué de présentations, de discussions vaines et de sourires forcés. On me reproche en riant d’être une femme. « Excuse nous, mais chaque année on attend un homme à ce poste, un vrai ! »

Je déteste la rentrée.