Caricature en dominatrice, commentaires haineux ou sexistes sur Twitter, tenue jugée « trop ample » par un responsable politique. Et si, en réalité, Rihanna avait été victime d’un énorme slut-shaming en France ?
Rihanna est une star engagée. En février dernier, elle était récompensée par l’université américaine de Harvard pour son engagement humanitaire. Quelques mois plus tard, elle interpellait Emmanuel Macron sur Twitter pour parler éducation dans le monde. Enfin, le 26 juillet, la pop-star de 29 ans était reçue par le président et sa femme à l’Elysée en qualité de fondatrice de l’association Clara Lionel Foundation. Une rencontre très formelle, mais aussi très commentée. Notons que l’artiste s’est rendue en France, mais aussi en Allemagne, en Argentine et au Canada. Cette tournée vise à récolter un maximum de soutiens pour son combat humanitaire.
Posts agressifs
Sa visite m’a semblé somme toute assez anecdotique. Cependant, les polémiques qui ont entouré cet événement m’ont stupéfié.
Ce sont d’abord les posts agressifs de mes contacts Facebook qui m’ont mis la puce à l’oreille. Après quelques disputes virtuelles, je me suis lancé dans des recherches pour comprendre les raisons d’un tel barouf, dans mon espace personnel, mais aussi au sein de la sphère publique. Ce que j’ai découvert est susceptible, messieurs, dames, de vous déclencher une hémorragie oculaire.
Incapable de porter un combat noble
Après avoir épluché bon nombre d’articles (Le Monde, Libé, Konbini…) et surtout les commentaires d’internautes afin de prendre la température, j’ai pu observer l’ampleur des dégâts.
Premier constat : hommes, femmes (surtout femmes), jeunes et vieux se sont lancés dans une entreprise fort surprenante. Démontrer par A+B que Rihanna est incapable de danser, chanter, se dénuder (par moment) et de porter un combat noble : celui de l’éducation. Tout cela à grands renforts d’arguments branlants, vulgaires, violents. Des mots qui en sont même arrivés à me déranger. Et qui m’ont fait comprendre, par ailleurs, que le sexisme et la misogynie étaient loin d’être l’apanage des hommes.
De ce lot de déclarations aux accents mélodieux émerge celui d’Aymeric Caron. Le journaliste, ancien chroniqueur de l’émission On n’est pas couchés sur France 2, connu pour son combat antispéciste, est de toute évidence bien plus pertinent quand il se pose en voix des animaux que lorsqu’il évoque Rihanna pour inciter le président à l’écouter.
@EmmanuelMacron M le Président, je ne sais pas chanter en me tortillant, mais pourriez-vous me recevoir pour parler des droits des animaux? https://t.co/hKAlB818gw
— AymericCaronOfficiel (@CaronAymericoff) 22 juillet 2017
Son message ayant mis le feu aux poudres, l’intéressé s’est défendu dans une interview à l’Express où il se posait en victime du système.« C’est un état de la « pensée Twitter » qui est à pleurer. [Le réseau social] est devenu un espace qui permet d’exister socialement en s’exonérant de toute honnêteté intellectuelle et analyse rigoureuse. Si on essaie de faire de l’humour ou de l’ironie, on vous place désormais dans le camp des « méchants » qui dissimulent une pensée discriminatoire. Ça en dit long sur notre époque, où la réflexion est aseptisée. »
L’entretien publié sur sa page Facebook a encouragé beaucoup de ses fans à donner leur avis. Loin de se laisser perturber par des propos déplacés, Aymeric Caron s’est même adonné à bon nombre de « likes » et commentaires encourageants sous leurs propos sexistes.
Mais pour sa défense, Aymeric Caron n’a pas été le seul à se laisser emporter par sa créativité incomprise. Le dessinateur Alex a lui donné naissance à une Rihanna dominatrice en quelques coups de crayon. La caricature publiée dans le journal l’Union-Ardennais pour annoncer la venue de la star à l’Elysée laissait entendre que cette dernière allait donner des cours d’éducation sexuelle à un Emmanuel Macron gonflé à bloc. Un dessin réalisé pour dénoncer la « peopolisation » de la société, selon les dires de son auteur. Une image donnant peu de crédit à la visite la chanteuse, rapportée une fois de plus à sa sexualité, selon moi.
#dessin @CourrierPicard et @UnionArdennais du 24.07.2017 : @rihanna à l’Elysée pour parler éducation ! pic.twitter.com/oaTeTFbrZE
— Alex dessinateur (@Alexdessinateur) 24 juillet 2017
— Alex dessinateur (@Alexdessinateur) 24 juillet 2017
Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, s’est de son côté vautré avec une remarque des plus douteuses sur la tenue de Rihanna lors de son entretien avec le couple présidentiel : « Finalement j’aurai été un peu déçu, sa tenue était un poil trop ample ».
Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement. Tranquille. pic.twitter.com/JkX9VmaKCa
— Freezze (@Freezze) 2 août 2017
Castaner nous dit clairement qu’il avait envie de se rincer l’œil, pépouze. Apparemment, pas de regrets car les fringues de Queen Riri n’étaient pas à son goût.
Alors qu’on attend des responsables politiques une exemplarité à toute épreuve et un soutien indéfectible à l’éducation, les propos du porte-parole nous rappellent que les dérapages sexistes sont coutume en politique. Faut-il rappeler les épisodes Pamela Anderson et Cécile Duflot ?
Pour rappel, Bono a lui aussi été reçu à l’Elysée le 24 juillet. Si l’on a pointé du doigt la venue du chanteur au plan politique, force est de constater qu’il n’a pas subi d’attaques personnelles comme Rihanna. Eh oui ! Bono est un homme.
Jugée illégitime
La vérité, c’est que la pop star souffre de son image considérée « sulfureuse » en France. Jugée illégitime pour parler d’éducation, trop sexualisée, trop libre pour parler de choses sérieuses, la chanteuse a été victime d’un véritable slut-shaming alors qu’on la renvoyait régulièrement à ses seins ou à ses fesses.
Elle a rendu visite à une société très frileuse à l’égard de la sexualité féminine reléguée au second plan, mais aussi du droit des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. Plus largement, les artistes populaires y sont, quant à eux, souvent jugés indignes et inintéressants.
C’est pourtant grâce à l’éducation que l’on pourra endiguer le fléau du sexisme. Et par la même occasion, celui de toutes les autres discriminations.
Julien Gilbert
(NDLR : Nous avons volontairement laissé les noms de ces internautes visibles, car s’exprimer sur les réseaux sociaux est équivalent à la prise de parole en public. Le sexisme, tout comme le racisme ou l’homophobie ne sont pas considérés comme des opinions mais constituent des délits et ne font en aucun partie de la liberté d’expression.)
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