Delphine Dhilly a réalisé le documentaire choc Sexe sans consentement qui est diffusé le 6 mars sur France 2. Dans ce film coécrit avec Blandine Grosjean, elle explore la zone grise, ce moment qui précède le rapport sexuel, et durant lequel certaines n’osent pas toujours dire non.
Mettre des mots sur une violence qui relève à tel point de l’intime qu’il est difficile de la qualifier. C’est ce qu’ont souhaité faire Delphine Dhilly et Blandine Grosjean avec le documentaire Sexe sans consentement, diffusé sur France 2 le 6 mars prochain. A visage découvert, des femmes âgées de 15 à 25 ans à l’époque témoignent du soir où elles ont cédé à un rapport sexuel dont elles ne voulaient pas. “Est-ce qu’on peut dire que c’était un viol si le garçon me plaisait ?” s’interroge l’une d’entre elles.
Cette phrase donne tout son sens à ce documentaire, qui revient sur cette nuit où séduction et attirance mutuelle ont précédé le moment où ce copain ne les a pas écoutées. “Nous n’avons pas voulu faire un film contre les garçons, commente Delphine Dhilly. Certains sont maladroits, un peu perdus. L’objectif est qu’ils comprennent ce qui peut se passer dans la tête des filles à ce moment-là, et de permettre à ces dernières de comprendre ce qu’elles ont vécu.” Le mot “viol”, qui renvoie à une définition juridique bien précise, est rarement prononcé.
Sexe sans consentement renvoie au besoin d’une éducation sexuelle renforcée et soulève de nombreuses questions. Delphine Dhilly a accepté de répondre à celles que nous lui avons posées.
LES INTELLOES: Comment avez-vous eu l’idée de réaliser ce documentaire ?
Delphine Dhilly: C’est Blandine Grosjean, productrice à Elephant Doc qui est venue me voir avec un projet sur lequel elle avait travaillé quelques années auparavant quand elle était rédactrice en chef du site d’information Rue89. Tout est parti d’un questionnement suite à la parution d’un article d’Esther Freud qui s’appelait Too Embarrassed to protest en 2007 (trop gênée pour dire non, ndlr.) Cette dernière s’était retrouvée coincée avec un type avec lequel elle n’avait pas envie de coucher. Elle a vécu cette expérience de zone grise.
De plus, l’affaire Assange a divisé la rédaction de Rue89 en 2009, une partie pensait qu’il ne s’agissait pas d’un viol puisqu’il y avait eu rapport sexuel la veille. L’autre, plus jeune, estimait qu’au contraire, il s’agissait bien d’une agression.
Tous ces éléments ont conduit Blandine à me proposer de réaliser Sexe sans consentement.
Est-ce un sujet dans lequel il est difficile de se plonger?
Je voyais tout à fait à quelle expérience intime il rapportait, cette situation où l’on n’a pas envie, mais le « non » ne sort pas de la bouche. Je l’ai vécue personnellement. C’est un sujet formidable pour explorer les rapports garçons-filles et un challenge de pouvoir raconter l’intimité.
Comment avez-vous choisi ce format?
Nous nous sommes dit qu’il était important que ces jeunes femmes témoignent à visage découvert. Il fallait qu’on puisse s’identifier et s’attacher à elles. Elles ont des profils différents, et viennent de la France entière.
Le documentaire s’attache à explorer trois étapes. Dans un premier temps, nous décortiquons le contexte. Puis cette situation où elles se sentent piégée, mal à l’aise. Les filles expliquent ce qui se passe dans leur tête, le type leur plaît, mais elles n’ont pas envie. L’une d’elle dit d’ailleurs: mais qu’est-ce que je fous là ?
Enfin, nous abordons aussi l’impact du sexe sans consentement: comment elles se sentent le lendemain, ce qu’elles pensent. Pour certaines, il s’agit d’une mauvaise expérience qu’elles ont réussi à surmonter par la suite. Pour d’autres, c’est beaucoup plus grave, plus traumatisant.
Tout au long du documentaire, des scènes de festivals entrecoupent les témoignages. Ces derniers sont le symbole des corps et de la jeunesse.
Ces filles qui témoignent avaient bu et fait la fête dans la plupart des cas. Avez-vous fait le choix de faire témoigner des personnes que l’on pourrait tenir pour responsables de ce qui leur est arrivé?
Nous avons évité les situations où il y avait une position de pouvoir trop importante, du type le professeur qui abuse de son élève. Celles qui sont racontées ressemblent davantage au “date rape” (rencart-viol, ndlr).
Les filles ne pensent pas que ce qu’elles ont vécu est un viol. Une culpabilité pèse sur elles, et les empêche de dire qu’elles ont été agressées.
Manque-t-on d’éducation en France par rapport au consentement?
Tout à fait, même si je préfère le terme “égalité des désirs”. Le mot “consentement” peut être problématique car il sous-entend que l’une des parties propose, et l’autre dispose. Il faudrait entendre le consentement dans le terme “nous consentons tous les deux”.
Les filles doivent se réapproprier leur désir, le comprendre, et on doit leur donner la possibilité de l’assumer. Cela passe par l’apprentissage de l’intégrité de son propre corps dès l’enfance. Un poids pèse aussi sur les garçons, qui doivent assurer sexuellement.
L’une des filles rapporte qu’elle a été incapable de bouger quand un garçon l’a agressée sexuellement. Elle affirme ensuite “une nana qui ne bouge pas, c’est un mécanisme de défense”. Qu’en pensez-vous?
Muriel Salmona qui a travaillé sur la traumatologie et la victimologie décrit très bien cet état de sidération. La peur conduit le corps à “s’éteindre” en quelques sortes. Dans certains cas, une dissociation entre le corps et l’esprit se fera, c’est une forme de défense.
Il y a aussi le réflexe de ne pas bouger pour ne pas entraîner davantage de violence, c’est commun à de nombreuses situations de choc. Troisièmement, la personne peut mettre du temps à comprendre ce qui lui arrive: “je lui ai dit non, mais pourquoi il continue?” se demande Célia.
Beaucoup de choses entrent en jeu également: la force du mec, la politesse de la nana…
Sur quel pays la France pourrait-elle prendre exemple en matière d’éducation sexuelle?
Au Canada, il est inscrit dans la loi que consentement doit être affirmatif, la personne doit avoir dit “oui”. Ce sont des précautions qui permettent de s’assurer du consentement de l’autre. Yes means yes, no means no (oui c’est oui, non c’est non, ndlr.). C’est une base qui semble saine.
Qui devrait voir votre documentaire?
Il s’adresse aux jeunes dans la vingtaine, mais aussi aux trentenaires. On peut relire son histoire sexuelle à travers ce film.
Il a aussi été pensé pour avoir des vertus pédagogiques et éducatives. Il aidera les garçons à comprendre pourquoi certaines filles ne disent pas non. Parce qu’elles peuvent avoir peur, parce qu’on leur apprend à être gentilles dès l’enfance. Sexe sans consentement vise aussi à développer l’empathie.
Il nous a été reproché de donner la parole à des garçons qui disent des conneries. A mon avis, c’est loin d’être le cas. Ils disent parfois des choses contradictoires, mais ils sont aussi un peu paumés !
Ce film a pour sujet la façon dont les filles vivent la zone grise, mais il faudrait sans doute une deuxième partie sur les garçons. Mais d’abord, les filles! (rires.)
Pensez-vous que Sexe sans consentement va libérer la parole comme #metoo?
Nous traitons un acte plus intime, plus banal. Le film va créer du dialogue dans des plus petits cercles: des adultes qui parlent aux enfants, des couples qui échangent, des discussions entre amis.
Plusieurs filles m’ont dit que le film les avait touchées. Je pense que les retombées seront semblables à celles de la charge mentale évoquée par la dessinatrice Emma. Elle a beaucoup fait parler dans les couples.
Néanmoins, j’espère qu’il y aura plus d’investissements dans l’éducation sexuelle.
Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois
Sexe sans consentement, sur France 2 le 6 mars, à 22h55.
Pour écouter les podcasts de Delphine Dhilly à propos du consentement sur France Culture, c’est ici.
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