Jeka a deux métiers. Responsable dans l’humanitaire depuis plusieurs années, elle a choisi de réaliser ses rêves en lançant sa propre marque de vêtements. Au travail, personne ne connaît son « deuxième job ».

Plus jeune, je voulais être styliste et écrivain. Ma mère, pragmatique, m’a alors gentiment conseillé de faire « un vrai métier ».

Cependant, la graine est restée. Pendant presque 10 ans, j’ai pris des cours du soir de stylisme, de couture, de création textile, de symbolisme des couleurs, et de peinture. Aujourd’hui, je suis une slasheuse (personne qui exerce plusieurs métiers, ndlr). Je jongle entre mes fonctions de responsable financière dans l’humanitaire, et celle de styliste et fondatrice de Rire fétiche, ma marque de vêtements mixte.

Rire fétiche est ma réponse aux plafonds de verre, aux limites qu’on se fixe et à celles qu’on nous impose. J’ai réalisé que les perspectives d’évolution de mon métier étaient limitées. Résolue à garder ma joie de vivre, je me suis construit une alternative.

« Un vrai kiff »

En octobre 2015, j’ai envoyé ma candidature à la Ghanan fashion week mais elle n’a pas été retenue.  Je me suis tout de même rendue à Accra, capitale du pays, pour voir le travail de ceux qui défilaient. Devant la créativité et la technicité des collections, j’ai réalisé le chemin qu’il fallait parcourir. Mais dans le fourmillement des créateurs, des mannequins, des journalistes et des blogueurs, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau. J’étais juste moi, sans masque épanouie et heureuse. Un vrai kiff ! Comme si la graine plantée 10 ans auparavant décidait enfin de germer.

C’est à ce moment-là que j’ai décidé de lancer Rire Fetiche. Je navigue entre la France et le Togo depuis l’enfance. L’essentiel de mon parcours s’est fait à l’international : j’ai notamment travaillé à Hong-Kong, à Lagos et à Mexico. Je souhaitais mélanger les genres et les origines. Parallèlement, ma marque est l’histoire du « self-made » togolais, du couturier du coin de la rue créatif et moqueur, en passant par la revendeuse de pagne féministe et chef de famille, ou encore par le maître-brodeur trilingue et borné.

Ces rencontres m’ont forgée et inspirée, faisant de Rire Fétiche une marque engagée dans la mise en avant de l’artisanat togolais.

Au travail, personne dans la confidence

Chaque pièce de Rire fétiche est unique, fruit de longues discussions, de palabres interminables, de quiproquos extraordinaires et de rires.

Au travail, seuls quelques proches savent que je suis aussi styliste. Je n’ai mis personne dans la confidence pour diverses raisons : j’ai toujours séparé vie professionnelle et vie personnelle. Rire fétiche est mon jardin secret. Ne pas en parler, c’est vivre cette aventure, libre de tout jugement. Quand on me demande ce que j’ai fait pendant mon week-end, je réponds, rayonnante « rien de spécial ! ».

La semaine, sur une journée de 24 heures, je n’utilise en moyenne que 15 heures. Oui, parce que j’aime bien manger, dormir, souffler. Le matin, je médite au lever du soleil, lis les nouvelles et checke le compte Instagram de Rire fétiche dans les transports. Puis, armée d’un café crème, je m’occupe pendant une heure de tout ce qui nécessite des neurones, stratégie digitale, impôts, agenda. Enfin, je cours sauver le monde de neuf heures à 19h, voire 20h.

Hyperactive

Comme c’est éreintant de sauver le monde, le soir, j’aime bien me vider la tête en faisant de la peinture, du chant ou de danse. Il est 23h quand je rentre finalement à la maison. J’ai 3000 idées à la seconde, une soif de comprendre le monde et l’envie de tester tous les possibles ! Pour mes proches, il est évident que je suis hyperactive. Je n’ai pourtant pas l’impression de l’être.

Malgré mes deux métiers, je parviens à rester zen la plupart du temps, ce qui est un héritage du Togo où être calme est preuve de bonne éducation. Je fais aussi un grand travail sur moi-même pour le rester. J’ai aussi accepté que pour être cool, il faut paradoxalement beaucoup de discipline et d’organisation. Car c’est la planification qui vous donnera le confort et la liberté de modifier votre agenda pour insérer un apéro, gérer un imprévu, épauler une amie.

« L’échec ne doit pas faire peur »

Je ne m’en sortirais pas sans ma loveteam : ma famille, mes amis, les amis de mes amis, des connaissances et aussi… de parfaits inconnus. Avec eux, toutes mes premières fois se sont transformées en fête, du premier shooting au premier défilé. Être entourée et comprise est essentiel, bien qu’il arrive que le cercle amical et familial soit vraiment être mis à mal.

J’aime mes deux professions et pour l’instant j’aimerais continuer à les mener de front. Chacune m’enrichit à sa façon. Je suis lucide et consciente que dans cette configuration, Rire fétiche ne grandira peut-être pas aussi rapidement qu’elle le pourrait, mais cet équilibre est nécessaire. L’échec ne doit pas faire peur, et ne pas empêcher de se lancer ! On se plante toutes un jour et alors ? Il faut avoir la satisfaction d’avoir essayé et c’est la meilleure façon de ne pas devenir le stéréotype de la femme aigrie. Certains ont peur de l’enfer, moi j’ai peur de la femme aigrie !

Alors riez, souriez à pleines dents et n’ayez pas peur d’entreprendre!

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois 

 

La bibliographie  de Jeka

  • So you think you’re a creative genius… now what? de Carl King