(En couverture: Edwine Morin et Isabelle B. Price)

Edwine Morin, Gaëlle Carrion et Isabelle B. Price ont créé la maison d’édition de livres lesbiens « Reines de cœur » et participeront à la 6e édition du Salon du livre lesbien. Après avoir travaillé toutes trois bénévolement pour le site Univers-L, qui traite de l’actualité culturelle lesbienne, elles se sont lancées dans ce projet pour pallier un manque. « La représentation de l’homosexualité féminine a explosé au cinéma et à la télévision, mais pas tant que ça dans les livres ! » explique Edwine. Les trois fondatrices bénévoles expliquent que les oeuvres qu’elles publient (toutes sous format numérique) sont avant tout sélectionnées « au coup de cœur ». Interview.

Les Intelloes : Pourquoi avoir créé une maison d’édition de livres lesbiens ?

Après avoir travaillé des années pour le site Univers-L (qui est à l’heure actuelle la base de données la plus importante en langue française sur les médias traitant de l’homosexualité féminine), nous avons lu et analysé plus de 300 ouvrages. Parmi toute cette littérature, nous avons rarement trouvé des écrits dans lesquels nous nous reconnaissions. Cela tient peut-être au fait que le contexte socio-politique a beaucoup évolué ces dix dernières année et que la représentation de l’homosexualité féminine a explosé au cinéma et à la télévision, mais pas tant que ça dans les livres.

Nous avons trouvé ceci décevant et ça comblait pas nos attentes en tant qu’homosexuelles et lectrices. L’envie de pallier ce manque a été le moteur du lancement de notre propre maison d’édition. On voulait de la légèreté, de la fraîcheur, de la positivité ! On espère que c’est réussi… En tout cas, il y a un gros point commun à chaque texte que nous publions : nous les adorons !

Comment définir la littérature lesbienne ? 

C’est une question difficile! Tout d’abord, nous mettons l’accent sur le contenu lesbien de nos publications, et non sur la sexualité ou le genre de l’écrivain(e). Aussi, une femme lesbienne n’écrira pas forcément des textes ‘lesbiens’, ou un texte pourrait être lesbien sans que son auteure ne soit lesbienne!

Ensuite, nous définissons le « contenu lesbien » comme étant la narration d’une relation amoureuse entre deux femmes, ni plus ni moins. Nous ne voulons pas avoir d’oeillères, donc la définition reste volontairement très vague.

Pensez-vous pouvoir toucher un public large, en dehors des femmes homosexuelles ?

La question de l’étiquetage « littérature homosexuelle » se pose. Par défaut, une majorité d’hétérosexuels ne vont pas s’emparer de ces livres parce qu’ils ne seront pas la « cible » visée. Pour autant, nous sommes certaines que les romans que nous publions chez Reines de cœur ont de quoi plaire à tous. Il y en a vraiment pour tous les goûts et toutes les sensibilités, hommes ou femmes, hétéro ou homo.

Par ailleurs, il y a des auteures ouvertement lesbiennes qui ont un talent exceptionnel et une notoriété phénoménale dans le monde entier, notamment Sarah Waters ou Emma Donoghue. Leurs livres ne mettent pas forcément en avant des héroïnes lesbiennes, ça dépend des titres. On se demande souvent si la représentation doit passer par la vie elle-même de l’auteure, par le contenu de ses œuvres, par les deux…

Les relations amoureuses entre femmes sont-elles un tabou dans les livres?

Définitivement ! Sans trop rentrer dans les détails, certaines étaient tabou pas tant à cause de l’homosexualité qu’à cause du contexte, notamment dans le cas d’histoires vraies (événements non fictionnels) qui ont été narrées dans les livres : relations incestueuse (les sœurs Papin), professeure-élèves (Simone de Beauvoir), relation interdite (sœur Benedetta). Mais là, on entre dans un tout autre domaine, beaucoup plus complexe.

Nous dirions – et surtout, arrêtez-nous si c’est une bêtise ! – qu’en général dans les œuvres de fiction présentant des relations amoureuses entre femmes, si tabou il y a, il vient surtout de l’époque à laquelle cela a été écrit et aussi de l’état d’esprit de l’auteur(e) à ce sujet. Donc, du traitement qui en sera fait en conséquence. Tous ces éléments influencent la narration et l’image renvoyée au lecteur. Ultimement, n’est tabou que ce que l’on considère comme tabou et les livres sont un moyen de dépasser ça, peu importe où se situe la barrière, avec du courage et de l’envie, une auteure peut faire exploser les idées préconçues.

Dans les autres genres littéraires que ceux estampillées LGBT, il y a moins de livres présentant des romances homosexuelles par rapport aux livres présentant des romances hétérosexuelles. Après tout, il y a moins d’homosexuels que d’hétérosexuels dans la société, ça semble a priori proportionnel mais nous ne possédons pas de chiffres pour l’affirmer avec certitude. C’est sûr qu’on a toujours la sensation que ce qui est mis à notre disposition en tant que membres de la communauté n’est pas suffisant dans les ouvrages « mainstream ».

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois